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Notre patrimoine historique doit mieux être pris en charge

by Toufan
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Par Saïd Dahmani, historien-archéologue
Quel serait le résultat d’un test proposé à tous les élus, du conseiller municipal au membre du Conseil de la nation, leur demandant de situer, sur une carte muette de l’Algérie, le mausolée de Syphax, celui de Micipsa, fils de Massinissa, celui de Ptolémée et de son épouse Cléopâtre, le mausolée royal de la commune de Boumia, les mausolées des Djeddar, et le mausolée de la reine Tin-Hinan ? Le taux de réussite atteindrait-il le score moyen des voix qu’ils ont obtenues ? On s’attendrait à de bons résultats, car la nouvelle génération d’élus et les fonctionnaires également ont un niveau d’instruction honorable. Or, mis à part ceux originaires d’un des sites des monuments historiques indiqués, il serait étonnant d’obtenir un résultat satisfaisant ! Car l’intérêt général de ces derniers est loin de celui du patrimoine, de sa gestion (financement, protection, promotion, etc.). Et si cela existait, ce ne serait que conjoncturel.
De 1983 à 1993, le livre d’or du musée et site d’Hippone enregistre la visite de deux ministres africains : Blaise Compraore, ministre de la Justice du Burkina Faso, en juin 1986 ; de B. Traoré, ministre des Sports, des Arts et de la Culture du Mali en juin 1988, qui écrit : «… Le combat du peuple algérien est un combat nécessairement victorieux puisqu’il s’enracine dans une tradition plusieurs fois millénaire…» Comme dignitaires algériens, ce musée reçoit la visite du ministre de la Culture, Abdelmadjid Meziane, à l’occasion de l’organisation d’une semaine culturelle par l’APC de Annaba en 1982. Comme hommes politiques algériens, Hippone reçoit le Dr Sadek Hadjeres en janvier 1991, qui écrit : «Récupérer notre passé, c’est aussi une lutte. C’est la lutte pour construire notre avenir plus humain, plus ouvert, plus tolérant, plus créateur.» Le regretté Hocine Aït Ahmed en octobre 1991. En 1995, un autre ministre de la Culture visite Hippone. Mais aucune personnalité culturelle algérienne !
Au cours de cette période, la seule satisfaction est de voir venir visiter les scolaires aussi bien de la wilaya que d’ailleurs ; c’était alors l’instauration de l’école fondamentale qui inclut l’étude de l’environnement, et insiste sur sa connaissance, notamment celle du patrimoine culturel.
Bientôt, à l’occasion du mois du patrimoine (mi-avril/mi-mai), on assistera à des manifestations de circonstance, à l’instar de cette boutade populaire, «telle la prière des caïds, le vendredi et lors des deux aïds/Salât al guyâd, djemaa wa aayâd», en attendant l’année prochaine !
Cette faiblesse de la culture d’intérioriser le patrimoine par les citoyens, quel qu’en soit le niveau, est en fait liée, entre autres, à la politique de gestion de notre patrimoine. L’État traite la gestion du patrimoine, de la simple garde d’un site, d’un monument ou d’un musée à garder, de la recherche, de la restauration, de la promotion, du salaire des intervenants, comme n’importe quel autre secteur. Cependant, l’État n’hésite pas à sacrifier une des composantes de ce domaine pour un évènement d’un autre domaine. J’ai vécu personnellement l’agissement d’un fonctionnaire chargé du budget qui ne donne aucune importance à une commande d’instruments jugée par lui comme n’ayant aucun rapport avec la recherche, malgré son analphabétisme dans ce domaine ! Je constate même, aujourd’hui, que le département chargé du patrimoine cherche à louer des espaces au privé sur ces «sanctuaires sacrés de la mémoire» ! Lors d’une réunion houleuse avec un secrétaire général du ministère de l’Information et de la Culture au début des années 70, relative aux problèmes matériels auxquels se heurtent les chercheurs, ce secrétaire général répond : «Les facteurs se plaignent également !»
Une structure a toujours, certes, regroupé tous les aspects relatifs au patrimoine. En 1962, ce secteur a continué à être géré, légèrement, par une sous-direction dans l’organigramme du ministère de l’Éducation nationale, pour devenir une direction du ministère de l’Information et de la Culture (on notera ici information avant culture dans le nom du ministère !), et ensuite du ministère de la Culture ; mais le patrimoine n’y tient qu’une place de direction au ministère.
En fin de compte, il a fallu se rendre à l’évidence : la gestion du patrimoine dépasse les capacités d’une direction centrale d’un ministère appelé à gérer aussi d’autres secteurs ; il faut attendre un bon de commande pour les produits d’entretien pour le musée d’Hippone, ou de Guelma, ou autre, soumis aux aléas de la distribution du courrier par la poste, ou pour payer le téléphone ou l’électricité ! Aussi a-t-on confié la gestion sur le terrain à un office, la Direction centrale au sein du ministère continuant cependant à exister comme garant et superviseur des actes, surtout administratifs, de l’Office. Le siège de cet Office a été ballotté entre Tipasa et Alger, ensuite sa direction a été instable d’autant que le patrimoine n’est pas une priorité.
On a fini par scinder l’Office en deux autres structures : le Centre national de recherche archéologique à qui est confiée la recherche archéologique, l’Office de gestion des biens culturels à qui est confiée la gestion des sites et monuments. Quant aux musées, deux types de gestion les concernent : les musées nationaux, dont la gestion est autonome, et les musées de sites qui dépendent de l’OGBC.
L’archéologie préhistorique est gérée par le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques. Ajouter l’Université qui, à travers les instituts d’archéologie, fait de la formation et éventuellement de la recherche.
Le résultat est loin d’être satisfaisant. Le secteur du patrimoine sombre dans la bureaucratie au sommet et au niveau régional. À l’ancienne organisation en circonscriptions archéologiques où l’aspect scientifique est la base, ce sont des sous-directions au niveau des directions de l’action culturelle au niveau des wilayas ; les musées de sites et les sites sont plus ou moins sous tutelle de cette direction de wilaya. Ces directions, en plus de l’absence de l’esprit scientifique, pèchent – au moins pour certaines d’entre elles — par la faiblesse de l’archivage.
En 1995, au cours de la réalisation de logements dans une wilaya de l’Est, le promoteur a tenu secrète l’information de la découverte d’une nécropole antique. Découverte par la circonscription archéologique du lieu, un dossier circonstancié a été transmis à la wilaya et à la hiérarchie.
En… 2023, la Direction de la culture de la wilaya demande à l’ancien conservateur (parti à la retraite) une copie de ce dossier ; comme s’il a gardé ce dossier par-devers lui ! On ne sait pas non plus ce qu’il en est advenu de plus de cinquante mille pièces romaines, découvertes en 1988 dans le site de la ville d’Apulée et gardées au niveau du secrétariat général de la daïra du lieu !
Peu d’institutions muséales dignes de ce nom voient le jour. Le bilan d’ouverture de chantiers archéologiques pour une superficie aussi importante que notre pays n’est pas connu, ou pas suffisamment diffusé ; le dernier – à ma connaissance — est celui présenté en 1978 (?) lors de l’exposition «Dix années de recherches». La production de ces différents organismes est faible, du moins n’est pas perceptible dans le paysage de l’édition. Le Bulletin d’archéologie algérienne dont la parution s’est interrompue en 1993 n’est reparu qu’en 2020 !
Le volet formation dans ce secteur est sujet à observation. Les instituts de formation de futurs archéologues forment des bac+14 semaines… et même des douctours. Nombreux lauréats quittent les bancs sans avoir connu une véritable fouille, ou un chantier de restauration… Linguistiquement parlant, en dehors de l’arabe, leurs connaissances en langues étrangères sont limitées, sinon nulles. Il est donc impérieux de revoir les paramètres et les conditions d’accès à ces instituts. L’enseignement lui-même dans cette filière est à revoir.
Ballotté depuis 1962 entre l’Éducation nationale, ensuite l’Information et la Culture, puis un secrétariat d’État, et même une structure flottante, fugace, confiée à mon ami et regretté Abdelhamid Benhaddouga, pour revenir sous la tutelle de la Culture et des Arts, le patrimoine reste le secteur étouffé par d’autres de très moindre importance vitale.
Tant que ce secteur du patrimoine reste englouti dans des structures ministérielles où il n’est pas le noyau, l’objet premier, il est emmené au gré des conjonctures. Le patrimoine doit par conséquent constituer le premier objet d’une structure indépendante des tutelles ministérielles. Ou bien le constituer en entité ministérielle dont l’objet unique est le patrimoine, ou bien une entité sur le modèle de la Sonatrach rattachée à la chefferie du gouvernement, où, également, le patrimoine constitue l’objet unique.
Son financement sera constitué d’un budget conséquent de l’État et de l’obligation, par la loi, d’y contribuer par toutes les entreprises nationales et privées. Cette structure doit être présente à travers des circonscriptions des wilayas à la tête desquelles ce sont les spécialistes du patrimoine qui ont l’initiative et non les bureaucrates. C’est la voie la meilleure pour donner aux recherches, aux études, à la valorisation du patrimoine son dû. Car c’est également pour l’identité historique des citoyennes et des citoyens algériens, que la lutte pour la libération s’est engagée.
S. D.

Notre patrimoine historique doit mieux être pris en charge – Contribution : Le Soir d’Algérie (lesoirdalgerie.com)

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