Dès son retour au pays dans les jours qui viennent, le président de la République va imprimer aux réformes économiques et sociales un rythme d’enfer destiné non seulement à rattraper les années pendant lesquelles le pays a dépensé sans compter, mais surtout à préparer l’avenir qui est beaucoup moins angoissant que le prédisent certains, pour peu que le potentiel que recèle l’Algérie soit mis en valeur dès 2021.
Par Ali Mebroukine, Professeur d’universitéDès 2021 : dix raisons de croire au renouveau algérien
Voici les dix (10) raisons pour lesquelles le citoyen algérien est en droit d’appréhender l’avenir avec une confiance raisonnable.
- Le président de la République ne tolèrera ni report, ni dysfonctionnement, ni échec dans la remise en ordre de l’économie algérienne. La Conférence nationale sur le plan de relance pour une économie nouvelle, a fixé le cap les 18 et 19 août 2020, cependant que le ministre chargé de la Prospective vient de mettre la dernière touche au document qui consigne toutes les recommandations arrêtées lors des rencontres nationales sur l’économie, auxquelles ont été jointes les contributions des ministères et des partenaires sociaux.
- Des réformes décisives seront engagées en 2021. La refonte du système fiscal, l’instauration de nouvelles règles de gouvernance budgétaire(1), la modernisation du système bancaire et financier, le développement de l’information statistique,
- la stabilisation du cadre juridique de l’investissement, le développement stratégique des filières industrielles et des mines, la rationalisation des importations, le développement des infrastructures d’appui aux technologies de l’information sont des chantiers déjà ouverts et leur progression sera sensible tout au long de l’année 2021.
- Pour le Président Tebboune, un Etat qui n’est pas social n’est pas un Etat démocratique et juste. Aussi bien, la réduction des inégalités entre les couches sociales et l’élimination graduelle des fractures territoriales qui laissent sur le bord du chemin, quelque 800 communes sur les 1.541 que compte le pays, constituent parmi les axes prioritaires de la politique sociale du gouvernement(2). Le rendement de la fiscalité ordinaire, anormalement faible, est appelé à croître en conséquence de la taxation des signes extérieurs de richesses et de la modernisation du système de collecte des ressources(3).
- La restructuration du secteur public marchand et celle des banques publiques seront menées tambour battant. Le Trésor public ne peut plus prendre en charge les déficits abyssaux accumulés par les entreprises publiques économiques à cause de leur gouvernance calamiteuse et le Président Tebboune n’acceptera pas davantage que les banques publiques se montrent incapables d’assurer une intermédiation financière, un tant soit peu efficace, au moment où le secteur privé doit reconquérir le marché intérieur et y créer richesses et emplois(4).
- Alors que notre pays cessera d’être exportateur de pétrole à l’horizon 2035 et sans doute, de gaz naturel vers 2040, sous l’effet de l’érosion de nos ressources fossiles et de l’augmentation sensible de la consommation domestique, le retard pris dans le développement des énergies renouvelables (Enr) est incompréhensible et le chef de l’Etat n’acceptera aucun faux-fuyant sous forme d’une énième remise en cause de l’objectif consistant à porter la part des Enr dans le mix énergétique global à l’horizon 2035 à 27%. Cet objectif n’est pas irréaliste mais les atermoiements et les palinodies des institutions en charge de la promotion des Enr sont devenus insupportables car elles durent depuis 2011(5).
- Les comptes publics et les comptes externes sont au rouge. La dette publique interne représente 57,2 % du PIB, le solde budgétaire en pourcentage du PIB est négatif (- 20%), le solde budgétaire hors hydrocarbures en pourcentage du PIB est également négatif (-28,3%). S’agissant des comptes externes, la balance commerciale (biens et services), présente un déficit de 26,1% par rapport au PIB, la balance courante (balance commerciale + celle des invisibles), accuse un déficit de 15,9%, la balance des payements, qui contient un grand nombre de balances partielles retraçant l’ensemble des opérations intervenues au cours d’une période donnée, enregistre un déficit de 25,4% par rapport au PIB. Quant au flux nets d’IDE, ils ont atteint à peine 1,7 milliard de dollars en 2019(5). Il n’y a aucun miracle à attendre, ni en 2021, ni les années qui suivront. Seule une régulation de nos importations beaucoup trop importantes au regard de la demande solvable, une lutte opiniâtre contre les surfacturations aux importations, le recours ciblé à l’expertise étrangère, alors qu’une expertise nationale de qualité existe qui est sous-utilisée, voire marginalisée, la lutte contre le blanchiment d’argent et le transfert illicite des capitaux permettront, d’ici 2025, de rééquilibrer nos comptes externes, sauf pour l’Algérie à solliciter les marchés financiers internationaux, ce que le président de la République a toujours exclu.
- En 2021-2022, un grand nombre d’entreprises seront créées. Il s’agit de PME, de start-up, de micro-entreprises, d’investissements en capital-risque, d’entreprises sous-traitantes destinées à permettre aux grandes entreprises d’intégrer les chaînes de valeurs mondiales. La création d’un million d’entreprises en 2021 est un objectif très ambitieux, tout comme celui de porter le montant des exportations hors hydrocarbures à quatre milliards de dollars à fin 2021(7). On ne doit pas oublier que le chômage en Algérie a des causes structurelles très anciennes et que la formation professionnelle pourvoyeuse de nombreux emplois au titre des services à la personne et aux entreprises, a été délibérément laissée en déshérence depuis trente ans. Toutes les entreprises qui démarreront devront créer de la valeur pour satisfaire une demande domestique importante et exigeante ; pour autant, elles ne pourront pas trop compter sur la commande publique qui ira s’étiolant à mesure que se raréfiera l’épargne budgétaire.
- Un pays qui ambitionne d’aller vers l’économie de marché ne peut pas tolérer une économie informelle (en réalité, une sphère de distribution de produits finis), qui représente quelque 38% du PIB et dans laquelle circule 50% de la masse monétaire fiduciaire globale. La liste des effets pervers induits par l’existence de cette économie a été suffisamment mise en évidence pour qu’il soit besoin d’y revenir ici. Il est certes vrai que tous les pays connaissent une économie souterraine et les pays développés à économie de marché, n’y font pas exception. Mais, dès lors que celle-ci représente 20% au moins de la richesse nationale produite, elle dérègle tous les circuits économiques, pénalise les opérateurs qui interviennent dans le secteur institutionnel et prive le Trésor public de ressources importantes ; le manque à gagner pour le fisc algérien est compris chaque année entre trois et quatre milliards de dollars, soit 530 milliards de DA, ce qui est considérable. Le gouvernement est directement interpellé par ce problème comme il l’est à propos de la valeur du dinar, laquelle ne peut faire l’objet d’une dépréciation récurrente, au titre de la gestion administrée du taux de change par la Banque d’Algérie, car elle induit quasi inéluctablement une forte érosion du pouvoir d’achat moyen dont font déjà les frais catégories modestes et couches inférieures et intermédiaires des classes moyennes. L’Algérie a les moyens d’avoir un dinar lourd ; ceci passe par l’impression de nouveaux billets de banque, comme a réussi à le faire le Premier ministre indien Narandra Modi en 2016. Ni l’introduction de la finance islamique, ni la conception de nouveaux produis bancaires, ni même l’augmentation du nombre d’agences bancaires à travers le territoire ne sont à la hauteur du défi. Il faudra non seulement imprimer une nouvelle monnaie mais encadrer également le retrait par les épargnants de leurs dépôts en attendant une régulation complète de la masse monétaire, ce qui exigera sans doute quelques années.
- Le Président Tebboune, à la différence de tous ses prédécesseurs, attache une importance primordiale à l’évaluation des politiques publiques. Depuis l’indépendance aucune politique publique, aucun plan pluriannuel, aucun projet de développement, dans quelque secteur que ce soit, n’a fait l’objet d’une évaluation ex ante ou ex post. C’est ainsi que les responsables algériens n’ont jamais pu apprendre de leurs échecs, et ceux-ci furent nombreux, ni de leurs erreurs, et certaines furent payées au prix fort, surtout durant la période 1979-1992, puis durant les quatre quinquennats de celui qui était revenu aux affaires pour précipiter la chute de l’Algérie. En vertu de la Constitution révisée du 1er novembre 2020, a été mis en place le Conseil national économique, social et de l’environnement (anciennement CNES). Cette institution est placée auprès du Président de la République et exerce des missions fondamentales comme celle d’évaluer et d’étudier les questions d’intérêt national dans les domaines économique, social, environnemental de l’éducation, de la formation et de l’enseignement supérieur(8). Son Président, Rédha Tir, s’est rapidement imposé comme une personnalité d’une rare compétence, dynamique, entreprenante et porteuse d’une vision à long terme. Il tombe sous le sens que le CNESE sera beaucoup sollicité durant toute l’année 2021 pour éclairer l’action du gouvernement et mettre à sa disposition son expertise. La volonté du Président de la République est de parvenir à une connaissance approfondie des mouvements et ressorts profonds de la société algérienne afin de déterminer son aptitude au changement.
- L’Algérie a fait le choix de s’ouvrir sur le monde extérieur. Elle a engagé dès 1997 les négociations avec les pays membres de l’OMC dans la perspective de son adhésion à cette organisation. Elle est membre de trois zones de libre-échange : avec 15 pays de l’UE, avec les pays arabes et avec les pays africains. Elle a adhéré à un grand nombre de Conventions multilatérales relatives au commerce international et conclu quelque 45 conventions bilatérales de protection des investissements et 29 conventions bilatérales de non-double imposition. Elle a l’obligation de respecter les obligations qu’elle a souscrites en toute liberté et indépendance, d’autant que dans la constitution, les traités et accords internationaux priment sur les lois internes(9). Pour le Président Tebboune, la parole donnée par l’Algérie est sacrée et ne saurait souffrir la moindre transgression. Dans de telles conditions, notre pays est invité à négocier de manière attentive et sérieuse soit les accords commerciaux qu’il est appelé à conclure pour l’avenir soit ceux dont il pourrait obtenir la révision, afin que ces accords ne soient pas déséquilibrés, sachant que l’Algérie est surtout un pays d’accueil des investissements et non pas un pays de départ des investissements. Enfin, il est très important qu’une évaluation rigoureuse soit entreprise des avantages fiscaux considérables accordés aux investisseurs étrangers et l’étude de leur impact sur la création de valeur en Algérie. Il faut bien se rendre compte que les avantages fiscaux et financiers que la loi accorde aux investisseurs étrangers représentent un manque à gagner sérieux pour le Trésor. Or il est admis que les investisseurs sérieux sont surtout sensibles au climat des affaires, à la taille du marché, aux opportunités d’exportation, à la qualité des infrastructures et au niveau élevé de la main- d’œuvre(10). Parce qu’il faudra gérer avec une grande rigueur la dépense publique dans les années qui viennent, toute exonération de charge, quel qu’en soit le bénéficiaire (entrepreneur algérien ou étranger) devra être consentie sur la base de son efficacité présumée.
Conclusion
La seule condition d’une avancée décisive de l’Algérie en 2021 sur les plans économique et social est la mobilisation de l’ensemble de l’appareil d’Etat. Il est attendu des fonctionnaires de l’administration centrale aussi bien de ceux des administrations locales : discipline, loyauté et engagement envers les agents économiques. Le Gouvernement ne peut pas à lui seul garantir le succès de mutations décidées lors de la Conférence historique d’août 2020. Des institutions comme le CNESE, la Cour des Comptes, ainsi que les différentes Agences chargées d’accompagner les porteurs de projets ainsi que les banques et établissements financiers ont un rôle fondamental à jouer dans le redressement du pays. L’Algérie aura trop attendu pour se réformer misant inconsidérément sur une rente dont tout un chacun savait qu’elle n’était pas pérenne. Quant au Président de la République, il ne cessera de harceler gouvernement, walis, élus locaux et autres hauts responsables de l’Etat pour que le changement s’effectue rapidement.
Ali Mebroukine
NOTES
- A travers notamment les modalités de conception et d’élaboration du cadrage budgétaire à moyen terme. V. Décret exécutif nº20-335 du 22 novembre 2020, JORADP du 2 décembre 2020, nº 71, p.3
- Amel Blidi, « les zones d’ombre, cheval de bataille du Gouvernement » El Watan du 15 aout 2020 ; V. cependant Réda Hadi : « Encouragement des investissements dans les zones d’ombre : les experts dubitatifs », Ecotimes du 11 janvier 2021.
- V. Étude du Cercle d’action et de réflexion pour l’entreprise (CARE) : « Réformer la fiscalité pour diversifier l’économie », 10 septembre 2020 in Site internet du CARE.
- V. Mohamed Chérif Belmihoub, ministre chargé de la prospective : « 10 lois et 50 décrets amendés en vue de la relance économique », Eco Algérie du 29 novembre 2020.
- Nadjia Bouricha, « Les discours contredisent les constats-Transition énergétique, un pari difficile à tenir », El Watan du 18 janvier 2021.La décision de créer une nouvelle entreprise publique chargée de la production et de la distribution des Enr est inepte et fera encore perdre du temps au pays.
- Alix Vigato, Lettre Économique d’Algérie, Décembre 2020, nº98, Publication de la Mission Économique auprès de l’Ambassade de France à Alger.
- Il faudra mettre les bouchées doubles pour parvenir à ce montant. Voir, à cet égard, A. Hadef, «la transformation digitale ente choix politique et impératif économique : préparer l’élite DZ-IT-2030 », in Ecotimes du 28 novembre 2020.
- Constitution, articles 209 et 210
- Constitution, article 154
10. A. Benachenhou, L’Algérie-Les années 2030 de notre jeunesse, sans indication de la maison d’édition, 2018, pp. 24 et ss.
Source : ecotimesdz.com