lapatrienews.dz
Entretien
Pr. Yazid Ben Hounet : « La tribune qui vient de paraître dans Le Monde est hypocrite, sournoise et néocoloniale »
Le professeur Yazid Ben Hounet, chercheur au CNRS, ne mâche guère ses mots quand il s’agit de monter au front pour défendre les causes nobles et justes que sont celles du Sahara Occidental et de la Palestine. Moins de 24 heures après notre sollicitation, il a répondu présent à notre demande d’entretien pour répondre du tac-au-tac à la tribune parue sur le monde, et concoctée sur fond d’intrigues innommables par une personne qui ne fait pas secret de sa haine pour l’Algérie, et de son inféodation aux gens du Makhzen. Pr Yazid Ben Hounet rappelle fort à propos que la promptitude du Monde à publier cette tribune néocoloniale le dispute au refus systématique de ce même journal à publier les contributions d’éminents chercheurs favorables au Sahara Occidental et à la Palestine. Pour notre interlocuteur, il y a un lien évident entre cette tribune, qui tombe comme un cheveu dans la soupe et les nombreux scandales qui éclaboussent présentement le Maroc. On laisse nos lecteurs découvrir le pourquoi et le comment de ces sordides intrigues…
Propos recueillis par Mohamed Abdoun
La Patrie News : Une tribune vient de paraitre sur le journal Le Monde qui, en résumé, ignore l’existence du peuple sahraoui ainsi que l’option référendaire en tentant de place face à face Alger et Rabat. Quels commentaires à chauds en tirez-vous, vous qui êtes à cheval concernant la défense du peuple sahraoui ?
Je suis à cheval concernant la défense du peuple sahraoui (comme du peuple palestinien) puisque la raison humaniste et le droit international sont de leur coté. Tout simplement. Seuls les ignorants et ceux qui considèrent « la raison du plus fort comme la meilleure » sont de l’autre côté.
La tribune qui vient de paraître dans Le Monde est hypocrite, sournoise et néocoloniale. Hypocrite car le quotidien Le Monde a écarté, censuré, d’autres contributions autrement plus sérieuses sur le sujet du Sahara Occidental, en ligne avec le droit international. Ce quotidien refuse en effet les tribunes qui s’écartent de sa ligne éditoriale qui consiste à présenter la question du Sahara Occidental comme « un conflit opposant le Marocau Polisario, un groupe indépendantiste soutenu par l’Algérie ». C’est systématiquement de cette manière que Le Monde – et notamment son responsable de la rubrique Afrique du Nord, FrédéricBobin – présente le sujet. Ce quotidien induit volontairement en erreur le lectorat en omettant méthodiquement de préciser d’une part le fait que la République Arabe Sahraouie et Démocratique (RASD) est membre de l’Union Africaine depuis 1982 – elle est donc logiquement soutenue par la majorité des pays africains. D’autre part, ce quotidien ne dit pas le droit international. Il s’agit de fait d’une décolonisation entravée par le Maroc, qui occupe illégalement prés de 70% du territoire du Sahara Occidental, avec l’appui en coulisse de la France : http://ouiso.recherche.parisdescartes.fr/fr/2022/11/28/sahara-occidental-esprit-de-censure/.
En avril 2018,il y a déjà près de 5 ans de cela, une centaine de chercheurs internationaux avaient adressé à Emmanuel Macron une lettre ouverte pointant du doigt la lourde responsabilité de la France dans la non décolonisation de la dernière colonie d’Afrique. À ma connaissance Le Monde était également destinataire de cette lettre ouverte. Seule L’Humanité a daigné la publier en France : https://www.humanite.fr/monde/sahara-occidental/la-france-une-lourde-responsabilite-dans-la-non-decolonisation-du-sahara
Je suggère aussi au lectorat de lire la déclaration de l’association espagnole des professeurs de droit international et des relations internationales, suite à l’alignement de Pedro Sanchez sur le plan d’autonomie marocain. Elle est signée par des centaines de professeurs. Elle est disponible ici : https://www.aepdiri.org/index.php/actividades-aepdiri/declaracion-sahara
La tribune en France et la déclaration en Espagne sont signées par beaucoup plus de chercheurs et de professeurs, et en particulier par des spécialistes du sujet. Ce qui est nullement le cas de la tribune parue dans Le Monde, signée par des journalistes, des « experts » thinkthank, une poignée d’universitaires copains du Monde (ou les copains des copains).
Ce qu’il y a d’intéressant dans la tribune en France, publiée en 2018 par l’Humanité, et la déclaration en Espagne, c’est que les deux convergent. On y voit d’ailleurs que, dans les deux cas, l’Algérie n’est nullement mentionnée. Outre le Polisario (RASD) et le Maroc, deux autres pays apparaissent : l’Espagne, ancienne puissance coloniale et toujours reconnue légalement comme puissance administrante ; ainsi que la France. À la fin de l’article 3 de la déclaration très solennelle et fondée en droit de l’association espagnole des professeurs de droit international et des relations internationales, on lit ceci : “OnlyFrance’s veto in the Security Council prevented the MINURSO fromcompletingitswork in organizing the referendum”. En français : « Seul le veto de la France au Conseil de sécurité a empêché la MINURSO de terminer son travail d’organisation du référendum ».
La tribune est in fine néocoloniale car elle en appelle à l’arbitrage de la France, alors que la question de la dernière colonie d’Afrique relève des instances de l’UA et de l’ONU. Elle entend par la même livrer le sort des Sahraouis – grands absents de la tribune – au pays protecteur du Maroc : la France.
A votre avis, quels objectifs vise cette tribune ? S’agit-il de faire sortir de l’ONU la question sahraouie ?
Elle vise, à mon avis, tout simplement à donner du crédit au narratif du Monde (« un conflit opposant le Maroc à l’Algérie »), et plus largement à celui des autorités françaises, s’agissant de la dernière colonie d’Afrique, tout en essayant de donner le beau rôle à la France. Elle n’engage que leurs auteurs mais si Le Monde la publie c’est parce qu’il conforte son narratif sournois.
Parlons des signataires maintenant si vous le permettez. Najem Sidi, seul sahraoui « signataire » de cette tribune a été victime d’une gravissime manipulation. Il me l’a personnellement déclaré lors d’un entretien téléphonique. Il a contacté Le Monde pour un démenti. A votre avis, quels sont les desseins poursuivis par les autres signataires, chacun selon son parcours et/ou nationalité ?
Difficile à dire. Il y a déjà les deux personnes à l’initiative – Khadija Mohsen-Finan et Jean-Pierre Sereni. La première est politologue travaillant pour des think thanks (dont la Hicham Alaoui Foundation), le second est journaliste. Ils donnent des gages à leurs financeurs. Ils jouent là le jeu des intellectuels organiques de la diplomatie française et de certains intérêts français et peut être marocains, en essayant de tronquer le débat et de nier sournoisement le rôle déterminant de la France dans la non décolonisation du Sahara Occidental. Ce doit être le cas d’autres signataires. Puis il y a ceux qui sont de bonne foi, qui pensent bien faire, qui ne connaissent rien au sujet, ne lisent que Le Monde et font confiance aux copains. Enfin, il y a les Marocains qui sont dans leur logique.
Peut-on lier cette tribune aux nombreux scandales qui éclaboussent présentement le Maroc ?
Oui. On peut. Les nombreux scandales qui éclaboussent le Maroc fragilisent la France qui est très liée économiquement et politiquement au Maroc. Ce genre de tribune vise à poser la France en tant qu’arbitre dans un moment où la politique maghrébine de la France est de plus en plus décriée, également en Europe.
Le Monde a une attitude très conciliante, amicale voire paternaliste à l’égard du Maroc. Je vous laisse lire les prises de position de ce quotidien s’agissant la “crise des migrants à Ceuta” (21 mai 2021), et le “drame” de Mellila(8 et 23 juillet 2022), pour reprendre les euphémismes utilisés par « le journal de référence » français. Sur ce dernier événement, qu’il convient de qualifier de massacre, vous pouvez comparer leur point de vue, plus qu’indigne, avec un article autrement plus documenté, celui du média lundi matin du 21 novembre 2022 – https://lundi.am/On-a-dit-que-c-etait-une-bataille-mais-c-etait-un-massacre-contre-l-humanite – ainsi que le reportage de la BBC : https://www.youtube.com/watch?v=MJoL7E4uvuU&t=632s
Une hypothèse est que les actionnaires du Monde ont des intérêts à sauvegarder au Maroc. Une deuxième hypothèse et que le marocgate ne se limite nullement au parlement européen. À l’inverse, Le Monde a une obsession pour l’Algérie et publie des textes très à charge et tronqués s’agissant de ce pays. 132 ans de colonisation, 193 ans de mépris… Les journalistes du Monde doivent apprendre à décoloniser leurs regards sur l’Afrique du Nord et plus largement l’Afrique.
Si le président Macron se résout à se rendre au Maroc, quels avantages politique pourrait en retirer Rabat, comme par exemple un soutien français franc au plan d’autonomie marocain ?
C’est ce que le Maroc va tenter de faire. Reste à savoir si Macron et son entourage iront dans ce sens. Mais après le scandale Pegasus, le chantage migratoire de Ceuta (17 mai 2021), le massacre de Mellila (24 juin 2022), le Marocgate, l’enquête Story Killers et l’affaire du journaliste marocain Rachid M’barki, les condamnations du Maroc s’agissant d’Omar Radi, de Naama Asfari, etc., etc. il serait d’une part risqué pour Macron de se rendre à Rabat. D’autre part, s’il s’aligne sur les demandes du Maroc, il discréditera totalement la diplomatie française dans l’arène africaine et au regard des spécialistes du droit international.