Le moment est grave. Ce qui se joue aujourd’hui au Sahel dépasse les frontières nationales de quelques États fragilisés : c’est une bataille géostratégique d’ampleur continentale, un nouveau chapitre de l’offensive néocoloniale que mènent, avec cynisme, les puissances capitalistes en crise. Et si nous n’y prenons garde, cette crise en gestation pourrait ouvrir une fracture arabo-africaine ravivant les plus sinistres découpages coloniaux, divisant à nouveau l’Afrique en « Afrique blanche » et « Afrique noire ». Une division artificielle, raciste, qui n’a jamais eu d’autre objectif que de mieux dominer et exploiter.
L’Algérie, forte de son histoire révolutionnaire et panafricaine, ne peut se permettre de rester passive, ni de jouer avec le feu. Toute escalade dans la crise actuelle serait une aubaine pour les puissances impérialistes – ces États du Nord dont l’économie s’étiole, rongée par la chute des taux de profit et l’épuisement des marchés. Leur seule issue désormais : la guerre. Pas celle des peuples, mais celle des multinationales et des actionnaires. Une guerre de prédation, pour le contrôle des ressources minières, pétrolières, gazières, et des routes stratégiques du continent africain. Le Sahel, zone riche et convoitée, est déjà dans le viseur de ces rapaces.
Ne soyons pas dupes : chaque tension, chaque division, chaque intervention militaire ou appel chauviniste à la “défense des frontières”, devient un cheval de Troie. Elle ouvre la porte aux bases militaires étrangères, aux contrats léonins, à la recolonisation économique. Elle affaiblit les forces populaires et détourne nos armées de leur mission de défense nationale pour les transformer en gendarmes au service d’intérêts transnationaux.
Les élites africaines doivent se souvenir de la leçon de Bandoung, de la lutte anticoloniale, de l’axe Alger-Accra-Le Caire-Dar Es Salam. Les peuples du Mali, du Burkina Faso, du Niger ne sont pas des voisins lointains : ce sont nos frères de lutte. Nos peuples partagent un même destin, et c’est ensemble que nous devons reconstruire une alliance du Sud – un front anti-impérialiste – contre les logiques de domination et de pillage.
Il faut aussi mettre en garde certaines fractions de la petite bourgeoisie nationale, qui pourraient être tentées – ou séduites – par des alliances opportunistes avec les grands vautours impérialistes qui rôdent dans la région. Qu’elles sachent que toute tentative d’envenimer la situation, sous couvert de calculs politiciens ou de quête d’influence, fera d’elles les alliées objectives des puissances étrangères en quête de recolonisation. Nous les dénoncerons avec force, car leur jeu dangereux menace la souveraineté de toute la région et trahit l’intérêt supérieur des peuples du Sud.
Thomas Sankara nous avait avertis : « L’impérialisme est un système d’exploitation qui s’appuie sur la domination militaire, économique, et culturelle. » Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est ce système à l’œuvre, plus retors que jamais, utilisant aussi bien les drones que les ONG, les diplomates que les proxys armés. L’assassinat de Sankara n’a pas suffi à étouffer la voix de l’Afrique libre : elle vit encore dans chaque peuple debout face à l’injustice.
Frantz Fanon, dans Les Damnés de la terre, dénonçait la bourgeoisie nationale née des indépendances formelles, cette classe qui se contentait de remplacer le colon sans jamais remettre en question les structures de domination. Si nous la laissons agir, elle refera l’histoire : celle des trahisons et de la soumission, maquillée en gouvernance responsable.
Et que dire de Patrice Lumumba, dont l’appel à l’unité africaine fut étouffé dans le sang par ceux-là mêmes qui prétendaient défendre la démocratie ? Les mêmes aujourd’hui poussent à la balkanisation du Sahel, au nom de la sécurité et du développement. Mais l’histoire leur a déjà retiré toute légitimité.
L’Algérie, aujourd’hui, a une responsabilité historique : celle d’agir en médiatrice souveraine, lucide, sans tomber dans la surenchère. Elle doit mobiliser ses diplomates, ses experts, ses forces politiques progressistes, pour bâtir un règlement pacifique et durable de cette crise. Non par faiblesse, mais par conscience stratégique : une paix juste est le seul rempart contre l’invasion rampante des puissances étrangères.
Le moment est venu de rompre avec la logique de fragmentation et de guerre. Il faut opposer à la brutalité impérialiste l’unité des peuples du Sud. Une unité fondée sur la souveraineté, la coopération égalitaire, et le refus absolu de tout retour en arrière néocolonial.
Ceux qui attisent les flammes du conflit doivent être nommés, dénoncés et rejetés. L’heure n’est plus aux ambiguïtés. L’histoire ne pardonnera pas aux tièdes