Professeur des universités, expert international docteur d’Etat 1974- directeur d’Etudes Ministère Energie/Sonatrach 1974/14979-1990/1995-2000/2008-2013/2015, membre de plusieurs organisations internationales.
Préambule
Pour éviter toutes interprétations, vis-à-vis de ce conflit Russie/Ukraine, l’Algérie a opté pour une position de neutralité ayant une ambassade en Russie et en Ukraine, privilégiant le dialogue dans le cadre des Nations Unies dont d’ailleurs, elle vient d’être admise en tant que membre non permanent au sein du conseil de sécurité .qu’ est-il des sabotages des gazoducs Nord Stream 1 et 2, qui passent sous la mer Baltique entre la Russie et l’Allemagne. Près de six mois après les explosions qui ont touché les gazoducs Nord Stream 1 et 2, la responsabilité de l’attaque sous-marine reste donc toujours un mystère malgré des enquêtes criminelles menées dans plusieurs pays. Washington , Kiev et Moscou ont démenti toute responsabilité et se sont accusés mutuellement d’en être à l’origine. L’enquête a évolué : au début par le renseignement américain suggèrent que les auteurs derrière le sabotage étaient des «adversaires du président russe Vladimir Poutine», probablement des ressortissants ukrainiens ou russes, selon le New York Times du 08 mars 2023. Des médias danois ont informé qu’un navire de la marine russe spécialisé dans les opérations sous-marines avait été photographié près de la zone du sabotage peu avant les explosions. Mais rebondissement récent, en ce mois de juin 2023. Une enquête du « Washington Post » du 06 juin 2023 que la CIA avait été informée par une agence de renseignement d’un pays européen que des forces ukrainiennes s’apprêtaient à saboter le gazoduc Nord Stream. C’est ce que dévoilent des documents classifiés, divulgués en ligne au printemps. Les services américains auraient été informés en détail de ce plan en juin 2022, soit trois mois avant l’attaque Le 10 juin 2023, selon une enquête allemande , relayée par le quotidien américain Wall Street Journal , l’opération de sabotage était supervisée un général ukrainien à l’insu du président Zelensky. Derrière ces révélations selon le Washington Post, les services de renseignements américains s’inquiètent depuis longtemps des opérations que l’Ukraine souhaiterait diriger contre la Russie, qui pourraient faire basculer la guerre dans un conflit direct opposant Moscou aux États-Unis et leurs alliés de l’Otan. Afin d’éviter les sabotages comme le North Stream, que ce soit les câbles sous marins ou les différents satellites dans l’espace, les cyber attaques, les interconnexions en cas de panne pouvant déstabiliser des continents et pas seulement un pays, le monde étant interconnectés s’impose pour la sécurité énergétique et numérique la coopération internationale (voir débat que j’ai eu à la télévision internationale Alg 24 New’s le 10 juin 2023 de 19h25 à 20h).
1.Rappel sur les réalisations des trois canalisations russes en direction de l’Europe
En plus avec l’Ukraine représentant environ 33% des exportations de denrées alimentaires stratégiques dont de céréales et un immense réservoir de métaux rares, la Russie avec des réserves de pétrole de 80 milliards de barils ( 4,7% des réserves mondiales ) , le premier réservoir mondial de réserves de gaz naturel 45.000 milliards de mètres gazeux, suivi de l’Iran 30.000 e du Qatar 20.000 est un grand pays producteur d’ hydrocarbures influençant d’ailleurs avec l’Arabie Saoudite la stratégie de l’OPEP+ . Avant le conflit en Ukraine, avec son pilier la société Gazprom, la Russie avait une stratégie expansionniste en direction de l’Europe avec trois gazoducs qui totalisent une capacité de 180 milliards de mètres cubes gazeux d’exportation dont la part de marché en Europe devrait passer de 45/47% en 2019 à plus de 70% . Nous avons le South Stream ,d’une longueur de 3600 km un gazoduc d’une capacité de 63 milliards de mètres cubes de gaz par an, qui est acheminé sous la mer Noire vers la Bulgarie, puis la Serbie, l’Italie et l’Autriche. Son coût a été estimé selon des données contradictoires , au moment du cours euro/dollar entre 30 et 35 milliards d’euros. Nous avons le gazoduc Nord Stream 1 (anciens noms : North Transgas et North European Gas Pipeline : NEGP), issu d’un projet lancé en 1997, ayant démarré fin 2005 pour se terminer en 2011 avec une mise en service effective en 2012. d’une capacité de 55 milliards de mètres cubes pour un coût estimé à entre neuf et huit milliards d’euros. Nous avons enfin le gazoduc Nord Stream 2, destiné à doubler la capacité de transport de gaz, dont les travaux ont commencé en avril 2018, mais interrompus en décembre 2019 du fait de l’opposition et des sanctions des États-Unis, mais repris en 2021 et terminé en septembre 2021 d’une capacité de 55 milliards de mètres cubes avec un initial coût total 9,5 milliards d’euros, a été financé à moitié par Gazprom Le 22 février 2022, à la suite de la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de deux républiques autoproclamées en Ukraine, le chancelier Olaf Scholz a suspendu le processus de certification du projet de gazoduc et le 1er mars 2022, Nord Stream 2 SA dépose son bilan, à la suite des sanctions décidées par l’Allemagne, l’Union européenne et les États-Unis. Le 2 septembre 2022, Gazprom annonce, après plusieurs réductions et interruptions du transit pendant l’été, le report sine die du redémarrage du gazoduc Nord Stream 1
2.-Les conséquences du conflit en sur la coopération gazière Russie/Europe
L’Union européenne, autrefois premier client du gaz russe, a drastiquement réduit ses importations au cours de l’année 2022. En 2021, environ 45% des importations du gaz naturel provenaient de Russie, c’est-à-dire 155 milliards de m3 sur les 400 milliards de mètres cubes de gaz consommés par les Vingt-Sept. Cela est confirmé par le ministre russe chargé de l’Énergie, Novak, qui a indiqué en février 2023 que les exportations de gaz russe avaient diminué de 25,1% en 2022 pour une production totale de 673,8 milliards de m3 en raison des sanctions européennes appliquées à Moscou. Cette baisse est due à la décision de l’UE et du G7, de plafonner le prix du pétrole russe à compter du 5 décembre 2022, à 60 dollars par baril transporté par bateau et vendu à des États tiers et depuis le 03 février 2022, le plafonnement des prix a été étendu aux produits pétroliers raffinés russes ainsi qu’ un plafonnement des prix de gros du gaz dès qu’ils dépasseront 180 euros le mégawattheure (MWh) pendant trois jours consécutifs. Encore que le prix des hydrocarbures est largement influencé à court terme par les incertitudes de l’économie mondiale. Le cours du pétrole, selon les données économiques moroses du dernier rapport de la banque mondiale de mai 2023 , notamment la croissance de la Chine, de la zone euro et des décisions monétaires des banques centrales, , est coté le 10 juin 2023 11h GMT à 75, 04 dollars le Brent ( 69,81 euros) et 70,35 dollars le WIT (65,44 euros), le cours des monnaies (euro/dollar) en plus des stocks américains influençant le niveau du cours de quelques dollars soit à la baisse soit à la hausse . Le gaz naturel , après avoir connu un seuil de 250/300 dollars le mégawattheure, au début du conflit en Ukraine, le 08 mai 2023 le contrat à terme du TTF néerlandais, considéré comme la référence européenne, s’échangeait à 35,92 euros le mégawattheure (MWh) et entre les 05/07 juin 2023 à 23, 545 euros , le niveau le plus bas depuis deux ans ( une baisse de plus de 70%), encore que le prix est plus élevé en 2020, où le cours moyen avoisinait environ 15 dollars le mégawattheure. A moyen terme,2025/2030, le prix sera fonction du nouveau modèle de consommation énergétique qui pour lutter contre le réchauffement climatique sera fondé sur l’efficacité énergétique , les énergies renouvelables et l’hydrogène . Pour pallier la forte demande du gaz russe, on assiste à des importations massives de gaz naturel liquéfié (GNL) mais à des prix plus élevés en Europe, plus de 60% en 2022 par rapport à 2021, ayant importé 155 milliards de m3 de GNL , les États-Unis, étant devenu le premier fournisseur de l’UE, où les importations américaines ont en 2022 ont connu une hausse +143% par rapport à 2021. Derrière les États-Unis, les plus gros fournisseurs de GNL à l’UE en 2022 ont été le Qatar (+23%) et l’Algérie à travers les canalisations Medgaz via Espagne et Transmed via l’Italie en 2022 avec environ 12% de part du marché, espérant sous réserve d’un investissement massif européen doubler ce taux vers les années 20205/2026. Cependant , nous devrions assister à un bouleversement vers 2025 au moment où les nouveaux projets de GNL, notamment au Qatar, produiront des millions de tonnes supplémentaires, l’Europe, ayant prévu 26 nouveaux terminaux sur le continent, dont un cinquième en France au Havre
3.- Quels ont été les impacts des sanctions de l’Occident sur la nouvelle politique gazière de la Russie ?
A court terme, les sanctions occidentales ont eu pour l’instant un effet relativement limité comme en témoigne les indicateurs économiques , en comparaison aux pays européens qui connaissent une décroissance . La flambée des prix du pétrole et du gaz ainsi que le détournement des exportations d’énergie vers des pays non soumis à des sanctions ont permis d’enregistrer des recettes d’exportation d’énergie malgré la réduction volontaire des exportations de gaz et l’embargo sur le pétrole décrété par les pays de l’UE. En plus de la Chine et l’Inde, des pays comme la Turquie, l’Arménie et l’Ouzbékistan ont permis de contourner les sanctions, soit en achetant du matériel revendu ensuite à la Russie, soit en exportant des produits russes vers les pays occidentaux Paradoxalement, c’est parce que la Russie est moins développée qu’elle est moins sensible aux sanctions. Ainsi, selon l’OCDE , le taux de croissance de la Russie été de 4,7% en 2021 ( 1779 milliards de dollars de PIB) , négatif de 2,4% en 2022, une prévision négative de 0,8% en 2023 ; le taux d’inflation a été de 6,7% en 2021, 13,8% en 2022 et 6,1% en 2023 ; le ratio dette publique /PIB est maîtrisable de 17,9% en 2021, 18,2% en 2022 et 20,1% , prévision 2023 et un déficit budgétaire selon les normes internationales de 20% du PIB en janvier 2023 et des réserves de change fin février 2023 de 589 milliards de dollars. Les mesures des sanctions occidentales ont été également certes par le cours élevé des hydrocarbures mais également par des mesures de stabilisation financières , la Banque centrale ayant relevé ses taux d’intérêts de 9,5% à 20,0% peu après les tensions avec l’Ukraine pour les ramener progressivement en septembre 2022 à 7,50. .Suite aux sanctions occidentales , la majeure partie des ressources énergétiques a été redirigée vers d’autres marchés notamment les livraisons de pétrole à l’Inde, multipliées par 22 en 2022, et la Chine, mais avec des prix au-dessous du marché . Dans sa stratégie la Russie a lancé le gazoduc « Power of Siberia » en direction de la Chine été inauguré, le 02 décembre 2019, des deux côtés de la frontière sino-russe, près de 2 000 kilomètres de tuyaux qui vont acheminer du gaz depuis les gisements de Sibérie orientale jusqu’à la frontière chinoise. Et ce n’est pas fini : le gazoduc ralliera Shanghaï, à quelques 3 000 kilomètres de la frontière, d’ici 2022-2023. Le coût de « Power of Siberia » a été estimé par Gazprom à 55 milliards de dollars, pour une capacité en 2022-2023 de 38 milliards de m3 par an, soit 9,5 % du gaz consommé en Chine. Le gazoduc russo-chinois s’accompagne d’un énorme contrat d’approvisionnement gazier à la Chine, estimé à plus de 400 milliards de dollars sur 30 ans, signé par Gazprom et le géant chinois CNPC en mai 2014, après une décennie de pourparlers Plus récemment ,la date du début de la construction étant fixée à 2024, nous avons eu l’inauguration du gazoduc Force de Sibérie 2 , d’un coût estimé à 12/13 milliards de dollars ( 1100 milliards de roubles au cours actuel contre une prévision de 800 milliards de roubles ) longueur de 6 700 km dont 2 400 km sur le territoire de la Russie devant se connecter avec le gazoduc Ouest-Est
4.La coopération économique entre l’Algérie et la Russie marginale loin des attentes
Selon une source russe , le président algérien devrait effectuer une visite d’Etat en Russie du 14 au 16 juin 2023 destinée à renforcer le partenariat stratégique devant assister au forum économique qui se tiendra à Pétersbourg. Pour pouvoir comparer les deux économies en référence à l’année 2021, selon les données du FMI , les importations russes ont été de 194 milliards de dollars dont 146 pour les produits manufacturés et 27,5 pour les produits agricoles et les exportations ont été de 340 milliards de dollars dont 230 pour le pétrole et les produits pétroliers et 27,1 pour les produits agricoles . Les importations en 2022 ont diminué de 15,01% par rapport à 2021, et les exportations ont reculé de 8,7% . Pour l’Algérie en 2021, les importations ont été de 51,50 milliards de dollars dont 10,7 de produits agricoles , 37,6 de produits manufacturés et les exportations de 37,8 milliards de dollars dont 33,4 pour le pétrole et les produits pétroliers. .Sur la base de 106 dollars baril et 16 dollars le MBTU de gaz ( source Banque d’Algérie) les recettes de Sonatrach ont été pour 2022 de 60 milliards de dollars ‘devant soustraire les coûts pour avoir le profit net ) .Pour 2023, selon le rapport de la Banque mondiale de mai 02020, le taux de croissance serait de 1,7%, revu à la baisse des prévisions précédentes 2,6% et loin des prévisions du gouvernement 4% , sur la base d’un cours de 75/80 dollars et 11/13 dollars le MBTU, les recettes de Sonatrach devrait fluctuer entre 45/50 milliards de dollars soit entre 10/15 milliards de dollars de moins que pour l’année 2022. Du point de vue de la coopération entre l’Algérie et la Russie, selon les données officielles russes, hors achats militaires, les exportations russes vers l’Algérie se sont élevées à 2,9 milliards de dollars et les importations russes en provenance de l’Algérie se sont élevées à 1,8 milliards de dollars. La part de l’Algérie dans le chiffre d’affaires du commerce extérieur de la Russie en 2021 s’est élevée à 0,4% contre 0,5% en 2020 et la part de volume l’Algérie occupe la 43ème place contre la 35-ème en 2020. La part de l’Algérie dans les exportations russes n s’est élevée toujours en 2021 à 0,6% contre 0,8% en 2020 et en termes de part dans les exportations russes ,l’Algérie occupe la 35ème place contre la 25ème place en 2020 et la part dans les importations l’Algérie occupe la 115ème place en 2021 contre la 123ème place en 2020.. Ces échanges marginales s’expliquent fondamentalement par la similitude des structures économiques des deux pays et donc loin des potentialités