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Le glas va-t-il bientôt sonner pour le régime des pétrodollars ? S’il ne peut s’écrouler d’un coup tel un château de cartes, car bien assis depuis près d’un demi-siècle, ce système, dont la première raison d’être est de fortifier l’hégémonie du dollar, semble aujourd’hui
clairement en passe d’être battu en brèche.
PAR R. AKLI
Face au fort vent de dédollarisation qui souffle sur la planète à la suite de l’éclatement
de la guerre en Ukraine et des sanctions monétaires qui ont suivi contre la Russie, la Chine et ses nouveaux partenaires du Golfe, l’Arabie Saoudite en tête, commencent
en effet à creuser petit à petit la tombe du roi dollar comme monnaie exclusive de facturation sur les marchés pétroliers.
Le billet vert perdant de plus en plus son capital-crédit auprès d’une bonne partie du globe, des transactions pétrolières et gazières commencent depuis déjà quelques mois à être libellées en monnaies autres que le dollar américain.
La Chine, qui mène actuellement le bal pour favoriser l’émergence d’un nouvel ordre multipolaire sevré de son accoutumance au dollar, a de fait réussi à ouvrir un nouveau front dans cette grande guerre monétaire, en actant son rapprochement avec les pétromonarchies du Golfe.
Depuis quelques mois déjà, Pékin et Riyad ont officiellement engagé des contrats de vente de pétrole libellés en devise chinoise, tout en amorçant un nouvel élan de coopération économique touchant à plusieurs domaines.
En venant ainsi chasser sur un terrain auparavant réservé à l’Oncle Sam, le dragon asiatique déploie intelligemment son offensive contre la dollarisation abusive de l’économie mondiale, tout en observant une certaine prudence tactique vu qu’il demeure aussi le premier pays au monde à détenir d’importantes réserves placées en valeurs américaines. Sans soutenir ni contester ouvertement la doctrine actuelle de Washington, l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial d’or noir, n’hésite pas, elle, à guider les autres pétromonarchies de la région sur la voie de la Chine pour s’affranchir de la suprématie du
dollar.
C’est que Riyad a grandement besoin de la puissance économique chinoise pour réaliser ces projets pharaoniques et futuristes chers au prince héritier, tel que celui de la mégapole de Neom.
Et à cette convergence d’intérêts, s’ajoutent bien évidemment les avantages potentiels à tirer d’un pétrole en partie « dédollarisé », le monde se méfiant désormais de plus en plus des propensions de l’Oncle Sam à user de sa monnaie comme d’une arme de guerre, sans
égard aux conséquences de sa politique hyper inflationniste sur l’épargne et les économies
du reste du monde.
«Les USA pourraient perdre jusqu’à 10.000 milliards $»
Interrogé sur la mort annoncée du pétrodollar, l’analyste et ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer, nous explique que « dès lors qu’aujourd’hui des transactions sur le pétrole et le GNL commencent à se faire en yuan chinois ou même en d’autres monnaies tel que le dirham émirati, l’ère du pétrodollar est effectivement en passe d’être complètement révolue ».
Avec l’accord engagé entre l’Arabie Saoudite et la Chine pour libeller leurs transactions en yuan ou n’importe quelle autre monnaie, cela sonne en effet « la fin des pétrodollars », a-t-il avancé.
Selon lui, il est important de rappeler que ce système est imposé après la guerre israélo-arabe d’octobre 1973 pour permettre la monopolisation du pétrole par les Etats-Unis, en imposant le dollar comme monnaie exclusive pour les transactions pétrolières.
Dans cet ordre d’idées, notre interlocuteur rappelle qu’après que les Américains ont décidé
de découpler leur dollar de l’étalon or en 1971, ils ont par la suite remplacé cette référence
or par le pétrole comme base assurant la valeur de leur monnaie, et ce, avec l’accord concocté par Kissinger pour imposer à l’Arabie Saoudite de vendre du pétrole exclusivement en dollar, en contrepartie d’un rapprochement et d’une protection militaire.
Les nationalisations d’hydrocarbures dans certains pays et les guerres de prix de pétrole que le monde a connues obéissaient surtout à cette stratégie américaine et aux objectifs visés au départ par Kissinger en vue de préserver la valeur du dollar et l’économie américaine, qui risquaient de s’écrouler après le découplage du
billet vert avec l’or, selon l’ancien gouverneur de la banque centrale.
« Cela avait fait naître une crise de confiance vis-à-vis du dollar de par le monde, et certains pays commençaient même à récupérer leur or physique détenu comme réserves aux
États-Unis », a-t-il ajouté.
Aujourd’hui, indique-t-il, le pétrodollar est réellement en perte de vitesse car, depuis déjà plus d’un an, il continue progressivement de reculer avec le rapprochement entre la Chine et l’Arabie Saoudite qui, petit à petit, engagent plusieurs accords de coopération dans divers domaines.
Pour les États-Unis, l’écroulement total du système du pétrodollar, estime Hadj Nacer, signifierait « des pertes colossales pouvant aller jusqu’à 10.000 milliards de dollars ». Un risque qu’ils ne pourraient se résoudre à accepter facilement et hormis continuer à piller certains de leurs alliés, comme les Européens, la Corée et le Japon, qui d’ailleurs « commencent eux aussi à vouloir se rebeller », la réaction américaine « se fera surtout en alimentant l’inflation et en continuant à créer des guerres pour imposer leurs intérêts », conclut-il.