Oublier son porte monnaie à la maison ou constater qu’on n’a plus d’argent au moment où on en a le plus besoin peut arriver à tout le monde.
En cette belle journée ensoleillée, l’un des plus grands maîtres de la chanson Bedoui et poètes du Melhoun du siècle dernier Cheikh Abdelkader El Khaldi a, comme d’habitude, décidé de passer quelque temps au café. Il s’attable et commande un café qu’il sirote en attendant l’arrivée de ses amis qui font généralement partie de son petit orchestre composé notamment du joueur de Guellal et du Gsasbi (flutiste). Au bout de vingt minutes, il constate qu’il a oublié son porte monnaie à la maison mais commande un autre café sachant que ses amis vont arriver… Le grand artiste qui se retrouve seul commande encore un thé et sort son cahier pour ne pas perdre de temps. Les idées ne lui manquent pas et il écrit vite le premier vers. Au bout d’une heure, la patronne du café qui fait également office de serveuse demande au grand poète de payer la note. El Khaldi lui répond : encore une limonade et je payerai après. La française lui répond « Nous verrons ça !» mais accepte de le servir. Notre artiste sait bien que ses amis vont arriver pour payer les consommations. Après un quart d’heure, la serveuse revient et rebelotte. Il commande un autre café tout en précisant qu’il payera en sortant et la bonne dame lui lance encore « Nous verrons ça ! ». Le manège continue et le grand chanteur de Bedoui de l’époque qui passait son temps à consommer est plongé dans l’écriture. En cette belle journée ensoleillé, ses amis ne sont pas encore arrivés et la patronne du café n’arrête pas de lui répéter « Nous verrons ça ! ».
Cet artiste très célèbre à l’époque et connu par tous les oranais ne devait pas être humilié au cas où la patronne appelait la police et ceux qui étaient présents dans la salle ne devaient pas savoir qu’il n’avait pas d’argent. Le temps passe et entre l’écriture de quelques vers d’un nouveau poème et l’attente de l’arrivée de quelque ami, la serveuse revient vers l’homme en burnous et ce dernier avant de réentendre « Nous verrons ça », il commande un autre thé. Et à chaque fois, qu’elle revient à lui, il dira « je payerai après tout en commandant une nouvelle consommation et à elle de le menacer par « Nous verrons ça !»… Le va-et-vient de la patronne continuera durant près de trois heures durant lesquels, El Khaldi gardera son calme face à la menace « Nous verrons ça !». Il devait se dire qu’adviendra-t-il si aucun ami n’arrive pour la sauver de cette situation honteuse pour un homme connu comme lui pour son honnêteté. Mais il résiste quand même et continue d’écrire tout en sirotant doucement un thé. Puisque tout est bien qui finit bien, un de ses musiciens passe le seuil du salon de thé et sauve le grand Abdelkader El Khaldi en payant toutes les consommations. C’est à ce moment que notre artiste avait terminé le dernier vers de sa chanson « Nous verrons ça, Nous verrons ça », devenue parmi ses plus grands succès.
Bari Stambouli
horizons.dz