Hommage à Rachid Taha en Égypte
La chanson “Ya Rayah” de Rachid Taha : Une voix pour les immigrés
de Mirna Abdulaal – 28.20.2021
Traduit de l’Anglais
Les immigrants ne voyagent pas seulement avec leur corps, mais aussi avec leur cœur, leur esprit et leur âme. Chaque jour, ils ont l’impression d’essayer de s’accrocher à quelque chose de réel, de s’accrocher à un morceau de terre qui n’est pas fictif ou imaginaire, mais qui les fonde et les attire dans les vibrations de la vie.
Il est vrai que tout le monde ne vit pas la même expérience, mais c’est aussi un fait que beaucoup le font encore en silence – sans personne ou sans rien à quoi se raccrocher. Ils restent piégés dans des terres étrangères comme s’ils avaient conclu un pacte avec le diable : ils peuvent soit rester tout en se sentant étrangers, soit repartir en ayant toujours faim d’opportunités.
Si l’immigration existe depuis des siècles, elle a toujours été redéfinie pour les générations qui ont vécu les séquelles de nouveaux événements historiques, tels que le colonialisme, les guerres et la mondialisation. Une chanson arabe qui continue à redéfinir la signification de l’immigration est le classique algérien du chaâbi, “Ya Rayah”, qui a été publié à l’origine par Amrani Abderrahmane [sic : c’est Dahmane El Harrachi] en 1973, avant d’être ramené à la vie pour une nouvelle génération de Nord-Africains et d’Arabes dans les années 1990 par le chanteur algérien Rachid Taha.
Chaque fois que je pense à Rachid Taha, je me souviens très clairement de la première fois que j’ai entendu parler de lui. Mon père et moi étions assis dans un café pendant des vacances en Égypte, il y a de nombreuses années, et la chanson “Abdel Kader” du trio Cheb Khaled, Rachid Taha et Faudel a commencé à jouer, suivie de la chanson emblématique “Aicha” de Cheb Khaled. La musique semblait intrinsèquement nostalgique, même si je ne la reconnaissais pas ou ne m’en souvenais pas au début, mais ce qui m’a fait me connecter instantanément à elle, c’est la fusion intéressante de différentes langues, de rythmes et d’instruments modernes.
Cela ne ressemblait en rien à la musique arabe que j’entendais habituellement écouter dans ma famille. Au contraire, et pour la première fois, cela ressemblait à de la musique arabe que ma génération aurait écoutée. Pour une génération nord-africaine et arabe qui a été témoin de la mondialisation et de l’immigration ou de voyages constants, je n’ai jamais rencontré de musique de notre région qui ait vraiment fourni une voix, une langue et une expression pour notre identité et nos expériences.
Après avoir cherché dans leur discographie pour trouver plus de musique, la plus intéressante que j’ai trouvée était la collection de Rachid Taha. Je me souviens avoir vu sur Internet des articles intitulés “Algerian Roots, American Rock n’ Roll” (racines algériennes, rock’n roll américain), à côté d’une image de Taha qui reflétait un “look américain avant-gardiste”. “Il chante en arabe, mais sa musique est aussi apte à canaliser les Rolling Stones ou les Ramones que n’importe quelle autre source”, disait l’article.
Il a toujours été considéré comme un artiste qui “mélange” ou fusionne deux mondes différents – produisant une version écrasée d’une forme de musique ou d’un genre. C’est un artiste aux “racines algériennes”, mais avec un “style américain”. Son identité n’a jamais été explorée en profondeur, et ses racines algériennes ont été mentionnées comme s’il s’agissait d’un simple cachet sur une enveloppe.
Pourtant, lorsque j’ai écouté davantage de sa musique, je n’ai jamais ressenti cela. Je n’ai pas ressenti le mélange, les torsions ou les distorsions. Je n’ai pas senti qu’il essayait d’imiter un style américain, ni même d’emprunter un quelconque style étranger.
Alors que les gens l’ont toujours catalogué comme un “emprunteur” de la culture des autres, comme quelqu’un qui imite simplement un son “américain” ou “européen”, je le voyais comme un tout unifié. J’ai écouté ses chansons comme si j’écoutais ma propre musique culturelle pour la toute première fois. Il a transcendé les stéréotypes que je nourrissais à l’égard de toute nation et m’a simplement apporté l’expression d’une expérience humaine – celle de l’immigration, du voyage et de la recherche d’un foyer.
Il peut y avoir de nombreuses interprétations différentes de la chanson “Ya Rayah”, et si d’autres ne la comprennent pas complètement, je l’ai immédiatement comprise dès que je l’ai écoutée. Pour notre génération, je ne pense pas que Taha parlait des immigrants qui ont dû quitter leur pays par exclusion ou par force, mais il s’adressait aussi à ceux qui s’efforcent de fuir leur propre patrie pour trouver “un meilleur foyer”, une meilleure vie.
De loin, le monde peut donner l’impression qu’il est collectivement le nôtre – qu’il est un foyer pour nous tous et que nous avons toute liberté et tout droit de voyager sur n’importe quel continent ou dans n’importe quel endroit et de l’appeler notre foyer. Pourtant, lorsque nous regardons plus profondément, et que nous voyageons réellement dans ces endroits, nous nous rappelons que le monde n’a jamais été le nôtre – en tant qu’humains – au départ. Il était aux mains des gouvernements, des dirigeants, des groupes, des partis et des institutions qui n’accueillent pas tout le monde de manière égale et équitable.
On nous rappelle que se “vendre” à ces institutions est un baiser de la mort, un contrat que l’on signe avec le diable en échange de gains matériels. Mais comme le chante Taha dans la chanson, qu’est-ce qui est vraiment dans notre intérêt avant de vendre ou d’acheter ? Combien de déceptions, de blessures et de douleurs sommes-nous prêts à subir en échange de plus d’argent ? Ou avons-nous simplement comparé les déserts vides de notre pays avec les gratte-ciel d’autres pays plus développés ?
Mais c’est la faute de la société avant d’être celle de l’immigrant, comme l’explique la chanson. Où que nous nous tournions, où que nous allions, ce n’est jamais la société qui nous a accueillis, mais l’illusion que nous avons créée pour continuer à vivre et à survivre.
Traduction de l’auteure de l’article de Ya Rayah :
Oh voyageur, vers où voyages-tu?
N’as-tu pas remarqué comment les pauvres ont regretté cette décision avant toi et moi ?
Comment la société a échoué, avant toi et moi
Ou bien as-tu simplement comparé le désert vide de ton pays d’origine avec des endroits développés ?
Combien de temps as-tu perdu, et combien en perds-tu encore ?
Ô voyageur qui vit sur la terre des autres, tu te fais du souci et tu vas t’épuiser.
As-tu une forte volonté, ou ne sais-tu pas ?
Ô voyageur, où vas-tu ?
N’as-tu pas remarqué que les pauvres gens ont regretté cette décision avant toi et moi ?
Pourquoi ton cœur est-il si triste ? Pourquoi cela ? Ou est-ce parce que c’est le seul choix possible pour les pauvres ?
Ta patience ne durera probablement pas, et si tu passes plus de temps (à l’étranger)et découvert cela, écris-moi (une lettre)