La qualité de vie : une nécessité, un devoir

S’il est vrai que les progrès technologiques ont procuré facilité et confort au citoyen, réduisant notamment l’espace et le temps, ils ont conduit à une accélération de ce dernier et donné naissance à une société du « prêt-à-consommer », vite consommé (infos brèves, plats pré-cuisinés, fast-food, fast-dating chez les occidentaux, etc, sensés pallier la course effrénée de ce temps qui semble fuir et glisser entre les doigts).
Ainsi vit-on aujourd’hui dans ce que l’on pourrait appeler un « temps technologique, » c’est-à-dire un temps étriqué, chronométré, alors que la majorité de la population évoluait, il y a quelques décennies encore, au rythme des saisons, des récoltes, des moissons, etc.
Proches de la nature, observant ses changements qui conditionnaient leur existence, nos aïeux vivaient en cela dans un « temps de la contemplation », oserait-on dire.
Le béton, l’asphalte, de nos jours, ont envahi les moindres parcelles et recoins de l’espace de vie de l’homme, et l’éloignant de son milieu originel, il a été pour ainsi dire « déraciné », « dénaturé ».
C’est pourquoi les parcs et espaces verts doivent être intégrés dans tous les plans d’aménagement et leurs superficies étendues afin de procurer au citoyen un havre de paix, une halte dans sa routine lassante, parfois oppressante, et un moyen de se ressourcer, de retrouver un équilibre.
La qualité de vie du citoyen, étant donc un facteur déterminant non seulement de bien-être mais également de cohésion sociale, elle doit être au coeur des préoccupations des pouvoirs publics et prise en compte dans tous les plans d’urbanisme.
Ainsi, dans la conception des futurs projets de villes nouvelles, les exemples de Sidi Abdallah ou Ali Mendjeli nous semblent des cas d’école de modèles à ne pas reproduire. Rien de plus oppressant, en effet, que ces forêts pétrifiées d’immeubles ininterrompus, conduisant, après les premières joies d’occuper un appartement neuf, au mal-vivre.
Aussi, dans tous les projets à venir, les initiateurs doivent les concevoir comme s’ils devaient y vivre un jour et y intégrer toutes les commodités, etc qu’ils souhaiteraient y trouver pour rendre le plus agréable possible leur cadre et conditions de vie, par exemple :
– trottoirs spacieux pour permettre aux poucettes et chaises roulantes de circuler, et ombragés de grands arbres faisant office de climatiseurs naturels (les palmiers, souvent chétifs au nord et de toute manière éloignés les uns des autres ne sont guère efficaces pour remplir cet office et donc rafraîchir les promeneurs) .
– pistes cyclables (toutes les grandes métropoles en comptent), inculquer une culture écologique orientant vers le choix des vélos pour les déplacements.
– voies dédiées pour les bus, le tramway
– éviter les grands ensembles continus et inharmonieux d’immeubles. Quelques îlots d’immeubles peu élevés dans des bouquets de verdure entrelacés de pavillons avec petits terrains mais qui ne sauront être surélevés (aucun rajout d’étages possible suite agrandissement familial, etc),  seraient préférables.
– cliniques, centres ou laboratoires d’analyses, centres médico-sociaux, boutiques, poste, banques, restaurants, cafés, écoles, bibliothèques, cinémas, plusieurs espaces verts dans la même ville, espaces de loisirs, aires de jeux, parcours de santé, terrains de foot, basket, cours de tennis, piscine, placettes, places de marché
– etc, etc. En somme, toutes les commodités assurant le confort et l’épanouissement du citoyen tant intellectuel que physique.
Certes la ville doit être fonctionnelle, cependant cela ne saurait se traduire uniquement sous un aspect mécanique, c’est-à-dire être conçue comme « une machine à vivre » sans âme et par conséquent n’en doit pas moins être dépourvue d’authenticité. C’est un corps organique avec ses artères, ses veines (rues, ruelles,…), un coeur, des poumons, etc.
Car pour accueillir des âmes, dont c’est en définitive la finalité, la ville devrait par conséquent, ce nous semble, avoir une âme, c’est-à-dire avoir en quelque sorte une histoire ou peut-être encore raconter une histoire, avec ses odeurs, ses senteurs, ses couleurs, des ombres et des lumières qui frapperont les esprits, marquant et accompagnant leurs souvenirs à jamais.
Pour la conception de ces villes, sans doute ne serait-il pas vain de donner une occasion aux étudiants des écoles d’architecture et d’urbanisme de laisser libre cours à leur imagination et leurs talents. L’idée de concours n’est pas nécessaire, en revanche un prix, même honorifique, des meilleurs travaux serait une juste récompense.
Nos jeunes talents contribueraient ainsi à écrire les plus belles et les plus glorieuses pages de l’histoire de l’architecture algérienne et, nous n’en doutons pas, de celle du monde. Leur art sublimerait la ville qui serait pensée comme un tableau de maître constitué par touches successives et devrait en outre avoir une portée sociologique, philosophique, voire psychologique, psychanalytique
Peut-être nos jeunes étudiants devront-ils revoir, voire désapprendre l’enseignement sur les canons de l’architecture, dominé par les formes géométriques symétriques.
Or rien n’est plus contraire au vivant, à la beauté, plus déprimant et navrant que l’uniformité et la symétrie. Leur art, donc devrait refléter, reproduire la diversité, les « inégalités » de la nature, de la vie, qui ont exclu la symétrie. Un visage parfaitement symétrique serait d’une laideur horrifiante.
La période classique occidentale a certes produit des édifices vantés par un grand nombre, comme les constructions du baron Haussmann dont elles s’inspirent, mais bien que massives et richement décorées, elles n’en sont pas moins froides.
Quant à l’art islamique, il avait initié un mouvement imité dans toute l’Europe du Moyen-Age. L’architecture andalouse, particulièrement, avait conçu des oeuvres pleines de grace et de puissance contenue, touchant à un classicisme sobre encore inégalé, dépourvu des ces excentricités qui alourdissent et surchargent inopportunément de superflu les monuments.
Nos jeunes pourront largement s’en inspirer comme de la riche et florissante architecture anté-coloniale algérienne, renouant le fil, rompu par 132 ans d’errances, de dévoiements, et contribuant ainsi à un renouveau, une renaissance de l’art algérien.
Ce n’est donc rien moins qu’une révolution artistique, culturelle, de la pensée qu’il s’agit d’opérer pour promouvoir et faire éclore « la civilisation algérienne ». Il en va de même dans l’agriculture, la transition énergétique, etc. Il faut de l’audace et oser l’algérianité pour que notre jeunesse marque cette époque, ce siècle de son empreinte, sa créativité, son génie et donne naissance à l’école algérienne, étudiée de par le monde.
Et certes l’architecture est le reflet, l’émanation de la pensée, de l’âme de la civilisation dont elle est issue. Celles-ci transparaissent, par exemple, dans les innombrables gratte-ciel aux États-Unis, conçus comme des cathédrales (le Chrysler building est coiffé d’un toit, qui vu de loin, rappelle ces constructions gothiques) et marquent clairement le culte états-unien du business élevé en véritable religion d’État.
De même, dans certains pays du golfe où des centres commerciaux aux dimensions extravagantes et au luxe tapageur, véritables temples de la consommation (lieu de pèlerinage même de certains de nos compatriotes) font du commerce une nouvelle forme de religion.
Pour ce qui nous concerne, nous devons concevoir une architecture conforme et fidèle aux valeurs de novembre 54 : par le peuple pour le peuple. Ainsi nos oeuvres saillantes, dominant le paysage de toute ville algérienne, véritables points de repères ou boussoles métaphysiques de la culture algérienne  et sur lesquelles un intérêt particulier devront sans conteste être la mosquée, l’université et l’hôpital. Religion d’État donc et humanisme institutionnel. C’est là que réside la grandeur de l’Algérie.

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