L’histoire est souvent ingrate pour ceux qui l’ont faite et écrite. Lamine Debaghine -1917- 2003 auquel Rachid Khettab consacre un livre fruit d’années de recherches en Algérie et en France où il a compulsé de nombreuses archives fait partie de ces réprouvés. L’auteur nous fait découvrir l’itinéraire, riche et mouvementé, de celui qui est une sorte de «boîte noire» du Mouvement national.
Né en 1917 à La Casbah dans une famille relativement aisée, il sera au cœur de nombreux événements avant de s’éclipser totalement en 1962. Il ne consentira même pas à demander ses droits de retraite de cadre de l’Etat jusqu’en …1986 sur insistance d’Yves Bresson un ancien inspecteur de police français qui avait pris fait et cause pour le FLN. La lettre qu’il avait adressée alors en 1986 au ministre des Moudjahidine, Mohamed Djeghaba, figure en annexe.
Pourtant, à partir de 1939, avec l’emprisonnement de Messali il a fait partie de ceux qui ont dirigé, dans la clandestinité, le PPA qui fut interdit. Le Docteur Lamine joua un rôle de premier plan dans de nombreux événements. C’est lui qui a notamment rédigé avec Ferhat Abbas le manifeste de février 1943. Il a maintenu l’activité du parti dans un contexte difficile et s’impliqua dans la structuration du mouvement des AML. Ce mouvement unitaire rassembla, à l’exception des communistes, toutes les tendances politiques avant d’être interdit dans le sillage de la répression du 8 mai 1945.
Lamine établi dans le Sétifois, épicentre de l’activité nationaliste, sera un des cinq députés du MTLD au Parlement français où il prononça un discours mémorable qui doit être relu à l’heure où des voix s’élèvent pour nier les méfaits du colonialisme. Il était toujours dans les organes de direction de son parti et prit part à toutes les rencontres dont la réunion des cadres de 1946 à Bouzaréah suivi du congrès du parti jusqu’à son exclusion-démission fin1949.
Dans les rouages de la révolution
Contestataire du fonctionnement du PPA-MTLD agité par la crise berbériste de 1949, le démantèlement de l’OS et les tiraillements internes il a vécu au cœur des événements. Se basant sur les écrits d’Aït Ahmed, Harbi, Belaïd Abdeslam, Mohamed Abbas, Sid Ali Kafi, Derdour, Guennoun et les archives policières, l’auteur révèle un univers où l’engagement pour l’émergence d’une conscience nationale n’empêcha pas les intrigues. Il montre toutefois que même parasitée par les querelles de personnes la réflexion politique, autour des stratégies à adopter, n’était pas absente. Elle se révèle dans ses rapports au GPRA où il évoque notamment la mission du FLN et les rapports avec les pays étrangers dans le contexte de la guerre froide et des prémices de l’indépendance.
Au delà de la personnalité du médecin qui exerçait à El Eulma, l’un des premiers «intellectuels» qui a rejoint les rangs d’un parti surtout plébéien, qui pendant une vingtaine d’années ont exercé des responsabilités au MTLD Mezerna, Bouda, Lahouel, puis au FLN Abane Abbas, Krim, Boussouf, Boumediene, défilent. On découvre les actions du FLN, les ambitions, les calculs de ses «chefs» et les conjonctures internes ou externe qui influent sur les positions des uns et des autres.
Le prestige de l’homme qui représentait l’aile radicale du parti a conduit les fondateurs du FLN à le solliciter, peu avant le 1er Novembre pour diriger le mouvement insurrectionnel. Rompu aux arcanes de la vie politique, il rejoindra l’année d’après, après sa libération de prison, le FLN. Il est envoyé au Caire pour diriger la délégation extérieure au grand dam de Khider et de Ben Bella. Membre ensuite du second CCE et ministre des Affaires extérieures du GPRA il présente sa démission restée secrète en mars 1959 dans un climat délétère marqué par les conflits avec Abbas et des mouvements de «dissidence» comme celle du colonel Lamouri.
Sorte d’illustre inconnu, Debaghine nous est enfin restitué avec beaucoup d’exactitude et de clarté par Khettab. Il n’est plus un simple nom, mais tout un capital politique et historique.
R. Hammoudi
Docteur Lamine Debaghine , un intellectuel chez les plébéiens , éditions Dar Khettab 395 pages 1500 pages
horizons.dz 09.11.2021