Lettre ouverte aux supplétifs de la démocratie coloniale
À la veille de la visite du ministre français Jean-Noël Barrot à Alger, trois collectifs – PADA, Riposte Internationale, et Révolution du Sourire – ont jugé utile de lui adresser une lettre ouverte. Mais plutôt que de dénoncer frontalement l’impérialisme qu’il représente, ils le supplient. Ils implorent ce représentant d’un État colonial, toujours en guerre contre les peuples, d’évoquer, dans sa grande bonté, la question des droits de l’homme et des prisonniers politiques en Algérie.
À ce niveau de Rokhs, Fanon parlerait d’aliénation structurelle. Nous parlons, nous, d’un naufrage politique et moral.
Car enfin, que demande-t-on ici ? À un État qui colonise encore la Kanaky, qui soutient activement le génocide en Palestine, qui réprime férocement ses propres travailleurs, étudiants, écrivains et manifestants, de venir « démocratiser » l’Algérie ? À ceux qui ont embastillé les Gilets jaunes et expulsé les sans-papiers, d’instaurer chez nous l’État de droit ? Ce n’est plus de la naïveté : c’est une complicité.
S’opposer aux dérives autoritaires et libérales du régime algérien est non seulement légitime, mais nécessaire. Militer pour une Algérie libre, sociale, souveraine et auto-centrée, est une urgence. Mais le faire sous les auspices du néocolonialisme humanitaire, sous l’œil bienveillant des chancelleries occidentales, c’est renforcer les chaînes au lieu de les briser.
La diaspora algérienne a pourtant un passé glorieux. Durant la guerre de libération, elle fut l’aile avancée du combat : elle a importé la guerre sur le sol même du colon, refusant toute coexistence avec l’oppresseur. Aujourd’hui, une partie de cette même diaspora, habillée en ONG et sous perfusion financière des officines de l’ingérence douce, s’est métamorphosée en auxiliaire du pouvoir impérial. Les anciens soutiens des réseaux de solidarité sont devenus les fournisseurs de récits pour la diplomatie des droits de l’homme.
Et le plus tragique, c’est que nombre de ces “démocrates” sont aussi citoyens français. Mais jamais ils ne s’adressent à leurs propres gouvernants pour exiger la fin de la colonisation en Kanaky. Jamais ils ne dénoncent leur État pour sa participation au massacre des Palestiniens, pour la criminalisation des luttes sociales, pour la répression des jeunes dans les quartiers, pour la dissolution des organisations antiracistes ou la censure des artistes.
Ils n’ont de voix que lorsqu’il s’agit de rappeler à la France son devoir… de dominer avec des gants.
Ces collectifs ne représentent ni la dignité, ni la mémoire, ni l’espoir du peuple algérien. Ils sont les agents d’un néocolonialisme à visage humanitaire, les supplétifs éclairés d’un empire qui avance masqué. Ce n’est pas pour cela que nos aïeux sont morts.