Hier, le président Abdelmadjid Tebboune s’est exprimé pour la première fois devant la presse depuis sa réélection pour un second mandat à la tête de l’Algérie. Dans un entretien riche en détails, le chef de l’État a abordé une multitude de sujets, allant de la politique intérieure à la diplomatie, en passant par l’économie et la souveraineté nationale. Cet article propose une analyse des principaux points discutés lors de cette entrevue, dévoilant les priorités du président pour les cinq prochaines années.
Résultats des élections et réformes institutionnelles
Le président Tebboune a commencé par revenir sur les résultats des élections de septembre 2024, marquées par des critiques de la part de deux des trois candidats en lice. En réponse, il a ordonné des enquêtes approfondies pour s’assurer que les chiffres annoncés par l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) soient irréprochables. Tebboune a souligné que cette institution, bien que constitutionnelle, doit revoir son fonctionnement, notamment en termes de gestion des scrutins, afin d’éviter toute future contestation lors des élections locales à venir.
Dialogue national et démocratie participative
Tebboune a réitéré son engagement envers le dialogue national, affirmant que l’objectif immédiat reste la relance économique avant d’entreprendre une construction démocratique plus aboutie. Il a dénoncé les fausses démocraties qui, selon lui, mènent à l’anarchie, et a insisté sur la nécessité de respecter les institutions algériennes. Pour le président, le dialogue entre les partis politiques et les forces sociales est la clé pour protéger l’Algérie des ingérences étrangères et des extrémismes, assurant ainsi la stabilité nationale.
Révision des lois et élections locales
Le président a également abordé les réformes à venir des lois sur les syndicats et les partis politiques. Ces ajustements visent à mieux définir le rôle de ces entités dans une démocratie républicaine et à garantir une plus grande transparence. Il a également mentionné la révision des lois encadrant les communes et les wilayas pour renforcer leur efficacité. Ces changements seront cruciaux dans la préparation des prochaines élections locales, où l’administration devra mieux gérer les attentes et les besoins de la population.
Lutte contre la bureaucratie et numérisation
L’une des priorités affichées par Tebboune est la lutte contre la bureaucratie, qui freine encore les services publics malgré les efforts de numérisation. Il a rappelé les progrès déjà réalisés, notamment dans le secteur de l’enseignement et de la santé, mais a insisté sur la nécessité d’étendre cette numérisation à toutes les administrations d’ici la fin de 2024. En parallèle, il a réaffirmé son engagement à lutter contre la corruption, la spéculation et le sabotage économique, avec des sanctions sévères pour les contrevenants.
Souveraineté alimentaire et pouvoir d’achat
La souveraineté alimentaire a été désignée comme une priorité stratégique par Tebboune. Le président a affirmé que l’Algérie est proche de couvrir 100 % de ses besoins en blé dur, un produit essentiel pour garantir la sécurité alimentaire. En ce qui concerne le pouvoir d’achat, Tebboune a annoncé des mesures pour stabiliser l’inflation à environ 5 %, tout en maintenant les prix des produits de première nécessité accessibles grâce à des subventions. Il s’est engagé à poursuivre ces efforts pour protéger le bien-être des Algériens, même en période de hausse des prix sur le marché mondial.
Politique sociale : augmentation des salaires et logements sociaux
Pour le volet social, le président a réitéré son engagement à augmenter progressivement les salaires, les pensions et les bourses d’ici à 2027, avec un objectif d’une hausse de 100 %. Cette mesure vise à améliorer les conditions de vie des citoyens et à réduire les inégalités. En matière de logements, Tebboune a défendu le programme de logements sociaux, soulignant son importance tant sur le plan économique que social. Il a fermement rejeté les critiques sur la viabilité financière de ce programme, affirmant que le logement est un pilier central de son plan de relance économique.
Projet de gazoduc Nigeria-Algérie
Le projet stratégique de gazoduc reliant le Nigeria à l’Europe via l’Algérie est en bonne voie selon le président. Il a confirmé que la majeure partie des travaux en territoire nigérian est déjà achevée. Ce projet, considéré comme vital pour le développement de la région et pour renforcer la position de l’Algérie en tant que fournisseur d’énergie, permettra à l’Europe de diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz. Tebboune a critiqué un projet concurrent soutenu par le Maroc, le qualifiant d’irréaliste sur les plans économique et logistique.
Révision des accords avec l’UE
Le président a confirmé que l’Algérie souhaite renégocier l’accord de partenariat avec l’Union européenne, qui ne correspond plus à la réalité économique du pays. À l’époque de la signature, l’économie algérienne était principalement axée sur le pétrole. Aujourd’hui, avec la diversification de la production nationale, Tebboune plaide pour un accord plus équilibré, en particulier pour permettre un meilleur accès des produits algériens au marché européen.
Position sur les BRICS
L’Algérie a décidé de revoir son ambition d’intégrer les BRICS après avoir observé l’évolution de cette organisation. Bien que l’adhésion soit toujours d’actualité, Tebboune a indiqué que la priorité actuelle est de rejoindre la Banque de développement des BRICS, où l’Algérie pourrait investir 1,5 milliard de dollars. Cette initiative permettrait à l’Algérie de renforcer ses liens économiques tout en poursuivant sa stratégie de diversification économique.
Réforme des Nations Unies
Tebboune a lancé un appel à une réforme en profondeur des Nations Unies, en particulier du Conseil de sécurité, qu’il considère comme injuste et obsolète. Il plaide pour une plus grande représentation de l’Afrique avec cinq sièges non permanents et deux sièges permanents. Selon lui, l’ONU doit évoluer pour mieux refléter les réalités mondiales et cesser d’être dominée par quelques puissances occidentales qui monopolisent le droit de veto.
Relation avec le Maroc et politique des visas
Enfin, Tebboune a justifié la décision de l’Algérie d’imposer des visas aux citoyens marocains pour des raisons de sécurité, affirmant que des espions marocains ont tenté de pénétrer en Algérie avec de faux passeports. Il a néanmoins rassuré en affirmant que cette mesure ne visait pas le peuple marocain, qu’il qualifie de peuple frère. Tebboune a également réfuté les rumeurs selon lesquelles l’Algérie envisagerait de renvoyer les Marocains résidant en Algérie, soulignant que cette décision ne concerne que les individus impliqués dans des activités illégales.
Relation avec la France et la Question de la Mémoire
Lors de l’entrevue, le président Tebboune a également abordé la relation entre l’Algérie et la France, avec un accent particulier sur la question de la mémoire coloniale. Il a souligné que la réconciliation ne peut se faire qu’à travers un dialogue sincère et un respect mutuel de l’histoire. Tebboune a critiqué certains discours politiques français qui minimisent les souffrances du peuple algérien pendant la colonisation, rappelant que des millions d’Algériens ont perdu la vie ou souffert des atrocités coloniales. Il a insisté sur le fait que la reconnaissance des crimes coloniaux est essentielle pour tourner la page, sans pour autant effacer l’histoire. Sur le plan diplomatique, il a affirmé que l’Algérie est prête à maintenir des relations équilibrées et respectueuses avec la France, tout en restant ferme sur la préservation de sa dignité nationale et de son indépendance. Tebboune a également évoqué les dossiers sensibles des essais nucléaires et chimiques français dans le Sahara algérien, exigeant des actions concrètes pour réparer les dommages causés à l’environnement et à la santé des populations locales.
Conclusion : Un projet ambitieux et cohérent pour l’Algérie
Le président Tebboune, dans son deuxième mandat, se présente avec un projet solide et ambitieux pour transformer l’Algérie sur les plans économique, social et institutionnel. Son discours montre une volonté de rupture avec les anciens dysfonctionnements bureaucratiques et institutionnels, et de mise en place d’une modernisation par la numérisation et les réformes économiques. À travers des mesures concrètes sur la souveraineté alimentaire, la lutte contre l’inflation, l’amélioration du pouvoir d’achat, et une révision des accords internationaux, Tebboune vise à renforcer la position de l’Algérie sur la scène internationale tout en répondant aux besoins urgents de sa population. Ce projet, cohérent et ancré dans la réalité des défis mondiaux actuels, témoigne d’une ambition nationale tournée vers la stabilité, la justice sociale et le développement économique durable.
Hope&Chadia