Par Hope&ChaDia
Depuis 1962, l’histoire entre la France et l’Algérie est celle d’une relation passionnelle, oscillant entre espoirs de réconciliation et crises brutales. Pour Benjamin Stora, l’un des historiens les plus écoutés sur la question mémorielle, la crise actuelle est « sans précédent », marquant un tournant inédit dans les relations bilatérales. Plus frappant encore : dans plus de 80 % des cas, selon ses propres analyses, c’est la France qui en est à l’origine.
La plus grave crise depuis 1962
Dans ses récentes interventions, notamment dans deux podcasts essentiels à comprendre :
« Algérie – France : Le problème, c’est la connaissance » Lien ici
« France-Algérie : la crise la plus grave depuis l’indépendance ? » Lien ici
Benjamin Stora revient sur la gravité du moment :
« Il n’y a plus d’ambassadeurs ni en France ni en Algérie, c’est totalement inédit depuis l’indépendance. Même dans les pires tensions, la représentation diplomatique était maintenue. Là, nous sommes dans une situation de rupture. »
Une responsabilité largement française
À travers un décryptage précis des causes de tension, l’historien montre que les principales crises historiques ont souvent été déclenchées par des décisions françaises, mal préparées ou empreintes de ressentiment post-colonial.
Parmi les épisodes majeurs, Stora cite :
La colère française en 1971 après la nationalisation des hydrocarbures.
Le vote à l’Assemblée nationale en 2005, glorifiant la « colonisation positive », qui a cassé le projet de traité d’amitié.
Le revirement diplomatique récent sur le Sahara occidental, perçu comme une trahison par Alger.
« Ce basculement français n’a pas été suffisamment préparé. Le président Tebboune a été prévenu seulement quelques jours avant. »
Un cycle de rapprochements trahis, Un noyau dur, derrière les ruptures ?
Ce que Stora décrit, à travers ses nombreux exemples historiques, laisse penser qu’il existe en France une logique profondément ancrée : chaque tentative d’apaisement semble suivie d’une rupture initiée depuis Paris. Comme si, derrière les gestes de rapprochement, persistait un noyau dur dogmatique, enraciné dans les rouages profonds de l’État, hostile à toute normalisation durable avec Alger.
Tout d’un coup, tout a cassé. La relation est fragile, elle est passionnelle.
Cette lecture possible des faits soulève une question : les blocages actuels ne relèvent-ils pas d’un refus délibéré d’en finir avec le passé colonial ?
« Avec l’Algérie, les rapports de force n’ont jamais fonctionné. On ne peut pas imposer, il faut dialoguer. »
Stora déplore également l’instrumentalisation constante de l’Algérie dans le débat politique français, notamment sur les questions d’immigration et d’identité :
« On amalgame tout : les OQTF, l’islam, l’immigration. À la longue, ça fatigue. Les Algériens vivent très mal cette obsession française. »
Toutes les causes évoquées par Stora :
Responsabilité France (13 fois) :
Colère française en 1971 suite à la nationalisation des hydrocarbures.
Vote de 2005 sur la colonisation “positive” qui a cassé le traité d’amitié.
Médias français anti-Algérie, comme CNews.
Occultation historique de la colonisation en France.
Méconnaissance des Français sur la conquête coloniale.
Reconnaissance précipitée du Sahara marocain.
Absence de préparation diplomatique sur ce changement de position.
Rapport de force inefficace sur les OQTF.
Absence de discussions sur les OQTF, méthode imposée.
Déception algérienne, à cause de la France.
Instrumentalisation politique en France : tout est ramené à l’Algérie.
Discours nationalistes français : ressentiment, extrême droite.
Espoir brisé de réconciliation, après des efforts mémoriels.
Responsabilité Algérie (3 fois) :
Médias algériens anti-France.
Surabondance de récits nationalistes, parfois faux historiquement.
Discours nationaliste non pluraliste, fermé.
Responsabilité partagée (1 fois) :
Discours politiques et ressentiment alimentés des deux côtés.
Tableau statistique des causes de crises évoquées par Stora :
Responsable | Nombre de fois | Proportion |
---|---|---|
France | 13 | 81 % |
Algérie | 3 | 19 % |
Responsabilité partagée | 1 | Non compté |
L’histoire, toujours présente
Enfin, Stora insiste sur le poids de l’histoire, encore trop méconnue en France. Pour lui, la conquête coloniale reste une zone d’ombre, qui alimente les tensions :
« Il y a un problème de rapport à la vérité. Les Français ne connaissent pas ce qui s’est passé en Algérie. La conquête a duré 50 ans, et elle a été terrible. »
Vers une sortie de crise ?
Lui-même mandaté par Emmanuel Macron pour proposer des pistes de réconciliation, Stora se montre lucide :
« J’ai espéré que la démarche mémorielle permette une vraie réconciliation. Mais c’est fragile, tout peut casser à tout moment. »
Stora révèle une vérité dérangeante : les crises franco-algériennes, loin d’être des accidents diplomatiques, sont souvent provoquées par des choix politiques en France. Chaque rapprochement avorté semble confirmer l’existence d’un blocage profond, ancré dans l’histoire non réglée de la colonisation.