Dans le contexte administratif et managérial algérien, il est crucial de distinguer entre les prérogatives et l’autorité associées à une fonction et la propriété de l’objet de cette fonction. Malheureusement, cette distinction est souvent mal comprise, entraînant des dérives significatives. Cet article explore cette problématique, en fournit des exemples concrets, discute des conséquences potentielles et propose des solutions pour éviter ces dérapages.
Compréhension de la Problématique
Les prérogatives et l’autorité liées à une fonction confèrent aux responsables le pouvoir de prendre des décisions, de gérer des ressources et de superviser des opérations dans le cadre de leur mission. Cependant, ces pouvoirs ne doivent pas être confondus avec la propriété. La propriété implique la possession et le droit de disposer librement d’un bien ou d’une ressource, ce qui n’est pas le cas pour les ressources publiques ou les biens appartenant à une organisation.
Exemples de la Vie Réelle
- Gestion des Ressources Publiques : (i) Un directeur d’hôpital peut avoir l’autorité de gérer les fonds alloués pour l’achat de matériel médical. Cependant, considérer ces fonds comme sa propriété personnelle peut conduire à des abus tels que l’utilisation de ces fonds pour des achats personnels ou pour des projets non approuvés par les autorités compétentes.
(ii) Un maire ayant le pouvoir de distribuer des terrains municipaux peut être tenté de les octroyer à des proches ou de les vendre illégalement, pensant avoir un droit de propriété sur ces terrains.
- Gestion des Ressources Humaines : Un chef de département qui traite les employés comme des subordonnés personnels plutôt que comme des membres d’une équipe professionnelle, en imposant des tâches qui ne relèvent pas de leurs fonctions officielles, ou en exerçant un contrôle excessif sur leur vie privée.
Conséquences de Ces Dérives
Les conséquences de la confusion entre prérogatives et propriété sont multiples et souvent graves :
- Corruption et Malversations : La perception erronée de la propriété conduit souvent à des actes de corruption. Par exemple, les fonds publics peuvent être détournés pour des intérêts personnels, ce qui nuit gravement au développement économique et social.
- Démotivation des Employés : Les employés qui se sentent exploités ou maltraités sont moins motivés et moins productifs. Cela peut entraîner une baisse de la qualité des services et une diminution de l’efficacité globale de l’organisation.
- Perte de Confiance Publique et Risques de Désordre Social : Lorsque les citoyens constatent des abus de pouvoir et des détournements de ressources par des responsables, ils tendent souvent à associer ces agissements à l’État lui-même. Les actes malveillants de certains agents publics sont perçus comme des actions de l’État, ce qui mène à une érosion de la confiance en les institutions. Les citoyens peuvent penser que l’État ne gère pas correctement les ressources publiques ou qu’il est complice de la corruption.
- Conséquences Directes : L’agent responsable de l’abus de pouvoir peut souvent échapper aux conséquences de ses actions, bénéficiant parfois d’un réseau d’influence qui le protège. En revanche, c’est l’État dans son ensemble qui subit les répercussions de ces actes, notamment une baisse de légitimité et de confiance de la part des citoyens.
- Conséquences Indirectes : Cette perte de confiance peut mener à un désengagement civique, où les citoyens deviennent réticents à participer aux processus démocratiques et administratifs, comme le vote ou la collaboration avec les autorités locales. À long terme, cela peut créer un climat de méfiance généralisée.
- Risques de Désordre Public : Si cette méfiance atteint un seuil critique, elle peut déclencher des manifestations, des mouvements de contestation et, dans les cas extrêmes, des émeutes. Les citoyens, frustrés par l’absence de justice et la persistance de la corruption, peuvent se sentir contraints de recourir à des actions directes pour exprimer leur mécontentement. Cela peut mener à des confrontations avec les forces de l’ordre, aggravant ainsi la situation et rendant la gouvernance encore plus difficile.
Études Académiques et Références
Diverses études académiques ont exploré cette problématique. Par exemple, le concept d’agency theory (théorie de l’agence) en économie et en gestion examine les conflits d’intérêts entre les agents (responsables) et les principaux (propriétaires des ressources). Michael Jensen et William Meckling ont largement contribué à ce domaine avec leur article de 1976, “Theory of the Firm: Managerial Behavior, Agency Costs, and Ownership Structure” Jensen, M. C., & Meckling, W. H. (1976). Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and ownership structure. Journal of Financial Economics, 3(4), 305-360.
En Algérie, des travaux de chercheurs comme Lyes Ferhat et Yacine Belarbi ont abordé des aspects spécifiques de la gouvernance et des dérives administratives dans le contexte algérien, soulignant l’importance de la transparence et de la responsabilité. Ferhat et Belarbi ont étudié les effets de la mauvaise gouvernance sur le développement économique et social de l’Algérie, mettant en lumière la nécessité de réformes structurelles pour renforcer la transparence et la responsabilité Ferhat, L., & Belarbi, Y. (2020). La gouvernance et ses effets sur le développement économique en Algérie. Revue des Sciences Sociales, 17(1), 45-62.
Solutions Proposées
Pour éviter ces dérapages, plusieurs mesures peuvent être mises en place :
- Renforcement de la Formation et de l’Éthique : Les responsables doivent recevoir une formation adéquate sur les distinctions entre prérogatives et propriété, ainsi que sur les principes éthiques et de gouvernance. Des cours sur l’éthique professionnelle et la responsabilité administrative devraient être intégrés dans les programmes de formation des gestionnaires publics et privés. Par exemple, l’Université de Toronto propose un programme de gestion publique qui inclut des modules sur la gouvernance éthique et la responsabilité University of Toronto – School of Public Policy and Governance.
- Transparence et Responsabilité : Il est crucial d’établir des mécanismes de transparence et de responsabilité. Par exemple, les audits réguliers, les rapports publics sur l’utilisation des fonds et des ressources, et la mise en place de systèmes de dénonciation anonyme pour signaler les abus de pouvoir. Des pays comme la Suède et le Danemark sont souvent cités comme des exemples de bonne gouvernance et de transparence, grâce à leurs systèmes robustes de contrôle et de responsabilité Transparency International – Suède et Danemark.
- Sanctions Appropriées : Des sanctions claires et sévères pour les abus de pouvoir et la corruption doivent être mises en place. Cela inclut des mesures disciplinaires internes ainsi que des poursuites judiciaires pour les actes criminels. Des pays comme Singapour ont mis en place des politiques strictes et des sanctions sévères pour lutter contre la corruption, ce qui a permis de maintenir un haut niveau de probité parmi les fonctionnaires Singapore Corrupt Practices Investigation Bureau.
- Encouragement de la Participation Citoyenne : Les citoyens doivent être encouragés à participer activement à la surveillance et à l’évaluation des performances des responsables. Cela peut se faire par le biais de comités de surveillance, de forums publics et de plateformes en ligne pour exprimer des préoccupations et des suggestions. Par exemple, en Algérie, une initiative récente a été la création d’une plateforme électronique pour la soumission des plaintes, visant à améliorer la transparence et la responsabilité. Cette plateforme, lancée par le gouvernement, permet aux citoyens de déposer leurs plaintes directement auprès de la présidence sans passer par la bureaucratie traditionnelle. Ils peuvent suivre l’état de leurs plaintes et joindre des documents à l’appui إنشاء منصة إلكترونية لتقديم الشكاوى في الجزائر. Cette initiative rappelle des efforts similaires en Estonie, où des plateformes de gouvernance électronique permettent aux citoyens de participer activement aux décisions publiques et de signaler les problèmes de manière transparente e-Estonia.
Conclusion
La confusion entre les prérogatives et la propriété des fonctions responsables est une problématique sérieuse qui peut entraîner des abus de pouvoir, de la corruption et une inefficacité organisationnelle. Il est essentiel de comprendre que les agissements des agents malveillants ne doivent pas être assimilés aux actions de l’État. Les responsables individuels, bien qu’ils exercent leur autorité au nom de l’État, agissent souvent par intérêt personnel, ce qui ne reflète pas nécessairement les intentions ou les politiques de l’État lui-même. Cette problématique ‘distinction agents-état” sera developpée séparément dans un prochain article.
En Algérie, comme ailleurs, il est crucial de renforcer la compréhension de cette distinction, d’encourager une gestion éthique et transparente, et d’impliquer activement les citoyens dans la surveillance des pratiques administratives. Ce n’est qu’en adoptant une approche systématique et rigoureuse que nous pourrons prévenir ces dérives et promouvoir une gouvernance responsable et efficace, tout en préservant la confiance du public dans les institutions étatiques.
Références :
- Jensen, M. C., & Meckling, W. H. (1976). Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and ownership structure. Journal of Financial Economics, 3(4), 305-360.
- Ferhat, L., & Belarbi, Y. (2020). La gouvernance et ses effets sur le développement économique en Algérie. Revue des Sciences Sociales, 17(1), 45-62.
- University of Toronto – School of Public Policy and Governance.
- Transparency International – Suède et Danemark.
- Singapore Corrupt Practices Investigation Bureau.
- e-Estonia.
- إنشاء منصة إلكترونية لتقديم الشكاوى في الجزائر.