Home Histoire et Patrimoine Ali Farid Belkadi, historien : «La révolution algérienne, c’est d’abord son peuple uni»

Ali Farid Belkadi, historien : «La révolution algérienne, c’est d’abord son peuple uni»

by Toufan
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Interview réalisée par : Tahar Kaidi

Anthropologue et historien, Ali Farid Belkadi a été à l’origine de la découverte, en 2011, des crânes de résistants algériens au Musée national d’histoire naturelle de Paris (France), dont celui de Chérif Boubaghla. Il explique les perspectives d’une relecture de l’histoire en paraphrasant Karl Marx disant que «celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre».

El Moudjahid : Certains auteurs font débuter l’épopée de novembre 1954 à partir des événements de mai 1945, qu’en pensez-vous ?
A. F. Belkadi : Les insurrections n’ont jamais cessé depuis le débarquement de l’armée du roi de France Charles X à Sidi Fredj le 14 juin 1830. On se souvient plus tard de la déclaration du ministre François Mitterrand du 7 novembre 1954 : « L’Algérie, c’est la France.» Puis confus, il vint constater lors de sa visite officielle à Alger, en novembre 1981, et vingt-sept-ans plus tard, que l’Algérie n’était plus la France depuis bien longtemps.
Pour restituer les ponts, il faudrait revoir en premier lieu nos manuels scolaires afin d’éveiller la curiosité et l’enthousiasme des enfants et leur faire découvrir le glorieux passé de leurs ancêtres. Par exemple, aucun livre ne cite mon aïeul Abou Al-Abbas Ahmed Belkadi qui régna pourtant à Alger de 1520 à 1527 ni son frère Al-Hussein qui sont à l’origine de l’installation des Ottomans à Alger. L’Espagne s’était emparée des principales villes du Maghreb. Ces deux dignitaires furent dépêchés en ambassade par les notables d’Alger au Palais de Topkapi en 1519, où ils rencontrèrent l’empereur Ottoman Selim Ier pour demander son aide. C’est à la suite de cette requête algérienne que la Régence d’Alger fut officiellement fondée avec l’envoi de renforts pour libérer le pays de l’emprise des Espagnols.

La Révolution algérienne aura permis la conscientisation des peuples sur le colonialisme et ses méfaits…
Le vent du changement a soufflé sur le Maghreb et l’Afrique dès le démantèlement de la domination française par le Japon en Indochine, au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Lors de la capitulation du Japon, Ho Chi Minh déclara l’indépendance du pays. Les Français après avoir vainement parlementé pour tenter un retour en Indochine ouvrirent les hostilités. Le désastre de l’armée française à Diên Biên Phu en 1954, après celui subi contre l’armée allemande dès le début de la Deuxième Guerre mondiale en 1939, stimulèrent les revendications indépendantistes. Le 2 mars 1956, le traité de protectorat du Maroc signé en 1912, est annulé par la France, suivi quelques semaines plus tard de l’indépendance de la Tunisie. Comme par hasard le 12 mars 1956, après le désengagement de la France au Maroc et en Tunisie, les pouvoirs spéciaux seront accordés à Robert Lacoste par l’Assemblée nationale. 200.000 soldats supplémentaires sont rappelés en Algérie, ce qui portera les effectifs de l’armée française à 400.000 hommes. Le quadrillage du territoire algérien par l’armée française se durcit. En même temps débute la bataille d’Alger qui va durer neuf mois à partir de janvier 1957. Le général Massu banalise les procédés abjects pour briser la résistance à Alger, dont les tortures à l’eau et à l’électricité, suivis d’exécutions sommaires, les jugements expéditifs par les tribunaux militaires, les centres de détention clandestins, etc.

Comment écrire l’histoire de la guerre de Libération au moment où les archives de l’Algérie sont retenus en France ?
Pourquoi seulement la guerre de Libération ? Hérodote qualifié de père de l’histoire par Cicéron disait : quel gouffre profond que le passé des hommes. Il faut écrire l’histoire de notre pays, rétablir le passé des Algériens, et pas seulement l’histoire de la guerre de Libération. Sur le plan de l’écriture de l’histoire, à ce jour aucune école historique ne s’est formée en Algérie depuis l’indépendance, pour tenter de défricher l’histoire du pays, à l’image des Allemands Mommsen, Treischke ou Sybel. Le colonialisme a détruit la plupart des traces de l’histoire de l’Algérie, il s’est débarrassé de notre passé, qui ne l’intéressait pas, en ne laissant que des zones creuses et des vides. Concernant les sources, l’historiographie, les Algériens ont le choix des textes arabes du moyen-âge, depuis Omar Ibn Al-Qutiya jusqu’à Ibn Khaldoun, ou bien se tourner vers les auteurs français du XIXe siècle. C’est déjà beaucoup mais cela n’est pas suffisant. Quand on lit Gabriel Camps par exemple et que l’on apprend que les anciens maghrébins étaient incapables de traverser le détroit de Gibraltar, et que selon lui tous les bienfaits sont venus du nord c’est-à-dire de l’Occident, on n’a plus envie de poursuivre la lecture. Avec le temps je pense qu’il aurait fallu inclure une clause aux Accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 concernant les musées français qui détiennent des biens patrimoniaux algériens depuis les premiers moments de la colonisation. Cela aurait facilité la tâche aux chercheurs algériens. Il n’y a pas de recette pour écrire l’histoire. Il faudrait régulièrement élargir le champ de la recherche et ne pas se contenter de ce que l’on a sous les yeux.

On parle beaucoup de la Guerre d’Algérie, mais connaît-on assez l’épisode des répressions qui ont longtemps précédé le déclenchement de la Révolution ?
La révolution a toujours été dans l’esprit des Algériens. Sous la IIIe République la France relança brutalement le processus de colonisation de peuplement de l’Algérie. 10.000 ressortissants alsaciens avaient quitté leurs terres suite au rattachement de l’Alsace à l’empire allemand en 1871. Ces Alsaciens qui émigrèrent en Algérie se virent attribuer des terres séquestrées à des familles algériennes. Ce sont de pareilles iniquités qui font les grandes révolutions. L’occupation se poursuivra d’année en année, les colons passeront de 245.000 en 1872, à 750.000 en 1914. Un nombre incalculable d’événements marquants dans la longue lutte des Algériens contre le joug colonial sont ignorés jusqu’à nos jours, j’en relate quelques-uns dans mon livre qui aborde un thème nouveau, consacré au Cherif Boubaghla. Ce grand chef de guerre ignoré de la curiosité historique, n’a pas attiré l’attention qu’il méritait de la part des chercheurs, les arcanes de sa légende demeurent donc entiers. L’auteur Mohammed Brahim Salhi souligne l’ampleur de l’insurrection de 1871 au cours de laquelle 350 combats, impliquant 800.000 guerriers Algériens, se sont déroulés sur une grande portion du territoire national. Il a fallu prés de 90.000 soldats répartis en plusieurs colonnes surarmées pour venir à bout de l’insurrection, après plusieurs mois de combats qui firent plusieurs milliers de victimes parmi les populations. Souvenons-nous du 5 juillet 1962. Des conteneurs entiers de livres rares et des manuscrits inestimables de la Bibliothèque universitaire d’Alger ont été transférés en France quelque mois avant que celle-ci ne soit incendiée par l’OAS le 7 juin 1962. Sur les 600.000 ouvrages que la bibliothèque comptait, seuls 80.000 ont pu être sauvés. Les banques vidées par les gangs pieds-noirs. Au départ des Français le pays était exsangue.

Des auteurs écrivent «séditions», d’autres «soulèvements» ou encore «révoltes», quel est, selon vous, le mot juste pour décrire tout ce processus?
Il s’agit de résistants de la cause nationale, de membres d’une armée de libération nationale durant la guerre. Des dizaines de séditions, d’insurrections, de soulèvements, de révoltes se sont produites au cours du XIXe siècle. Sans oublier les proscrits et les insoumis, les bandits d’honneur révoltés contre l’ordre colonial, qui luttèrent à leur manière contre les gendarmes et les caïds dans les maquis inaccessibles, avant le déclenchement de la guerre de Libération. Le bandit d’honneur Ahmed Oumerri déserta l’armée française avant de rejoindre le maquis. L’arrière-plan de la révolution, c’est aussi le peuple de cireurs, de dockers de femmes de ménage qui ont fait la bataille d’Alger. Les indigènes déclarés sujets français mais non citoyens, n’avaient pas le droit de prendre part au vote lors des élections de l’Assemblée nationale. Une iniquité d’autant plus criante que le décret Crémieux du 24 octobre 1870 attribuait aux 37.000 juifs d’Algérie, la naturalisation française. Certains Européens, lucides, après avoir exigé l’égalité des droits entre les différentes communautés, en vinrent à souhaiter l’autodétermination pour les Algériens, par exigence de justice. Enfin ils furent convaincus que l’indépendance de l’Algérie devenait inéluctable, comme ce fut le cas pour Monseigneur Duval.
Un grand nombre de résistants furent dénommés bandits dans les lettres qui accompagnaient leur tête décapitée. Ils sont ainsi présentés comme un phénomène marginal, pour tranquilliser les français d’Algérie.

Comment penser autrement la guerre de Libération et faire face aux idées reçues?
A notre époque il n’y a plus d’idéologie. Même la Chine du Grand Mao Tsé Toung fait des affaires avec le tigre en papier d’antan. C’est le sauve qui peut général et le chacun pour soi dans ces temps implacables. L’union arabe et les «chers frères», «chères sœurs» cela n’existe plus. Depuis quelques semaines, les Arabes tour à tour font des affaires avec Israël. Le Maghreb est déchiré et il tombe en morceaux, la Libye est devenu un pays fantôme. La révolution algérienne c’est d’abord son peuple uni, soudé. Les Algériens le sont-il ?

La révolution n’est elle pas un processus de changement?
Une révolution implique l’élimination violente d’un régime politique, par la force. Le changement vise à la mutation d’ordre social, économique et politique, le plus souvent graduellement, par étapes.
La révolution n’a pas été menée à sa fin, elle s’est arrêtée en chemin, dès l’indépendance, rongée par les intérêts mercantiles d’une génération cupide, avide de biens matériels, de pouvoir et de puissance. Pour se disculper les profiteurs avaient trouvé une belle parade sémantique : Socialisme n’est pas synonyme de misère, autrement dit : il était permis de s’enrichir, d’amasser et d’accumuler les biens par tous les moyens, dont la corruption et l’escroquerie.

Après la restitution par la France de crânes de résistants, comment parvenir à restituer les ponts de notre histoire éparpillée et fragmentée ?
L’affaire transcendante des crânes du MNHN de Paris, je la résume par ces mots de Saint Augustin : «Le passé c’est la mémoire, le présent c’est l’action.» On ne demande rien et on agit toujours, en assumant la charge pesante. Il reste encore beaucoup à faire au MNHN. Les œuvres humaines quels que soient les domaines, et l’expérience acquise, restent toujours inachevées, la perfection n’est pas de ce monde.
La guerre d’indépendance ne doit pas être dissociée de l’histoire des nombreux mouvements de résistance qui se sont opposés à la France dès 1830. Lorsqu’on évoque les soulèvements dans l’Algérie coloniale, on se limite à la résistance d’Abdelkader et à la révolte du Cheikh Aheddad. Sans omettre les soulèvements de dimension locale, comme l’insurrection des Righas (ex-Marguerite) de Yacoub Mohammed Ben El hadj Ahmed. Ces révoltes survenaient comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Un siècle avant les maquis de la guerre d’indépendance, et avant l’apparition du Cheikh Aheddad, les populations des régions de Sétif, Bejaïa ou de la vallée de la Soummam, en Kabylie, s’étaient soulevées contre les Français. Khedoudja Bent Ahmed Benkanoun des Issers est une héroïne comme Fatma N’Soumer. Une haute et belle figure de la résistance. Lors de l’insurrection de 1871 elle lutta les armes à la main contre les occupants français, elle était affiliée à la Rahmaniya et n’obéissait qu’au Cheikh Al-Haddad.
T. K.
Source : elmoudjahid.com 01-11-2020

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