L’Algérie porte en ses paysages, du Tell verdoyant aux confins de l’Atlas saharien, un trésor souvent méconnu : celui des zaouïas et des kouba, témoins d’un soufisme enraciné, humble et profondément pacifique.
Longtemps, l’expansion de l’islam en Afrique s’est faite sous la bannière du dialogue et du respect des cultures locales. Contrairement aux conversions brusques ou aux influences plus récentes venues d’Orient, le soufisme a permis une adhésion sereine, une fusion naturelle entre spiritualité islamique et identité africaine. En cela, les zaouïas algériennes ont joué un rôle central, véritable matrice d’un islam de la paix.
Le témoignage de Melk Kerdel, auteur de l’Atlas des Kouba des maîtres du sens du sud algérien, est éclairant. Biologiste de formation, cet amoureux du patrimoine s’est laissé captiver par ces mausolées isolés qui ponctuent les steppes et les lisières du Sahara. Leurs coupoles blanches, éclatantes sous le ciel d’ocre, éveillent curiosité et respect : qui étaient ces maîtres ensevelis là ? Pourquoi ces lieux ont-ils traversé les siècles ?
Ce sont là des questions essentielles. Car derrière chaque kouba se cache une histoire, un maître spirituel, souvent un référent tribal ou un guide de confrérie (tarika). Dans les régions reculées, ces mausolées servaient aussi de repères, de refuges pour les voyageurs, de lieux d’asile. Bien avant l’existence des villes modernes, ils structuraient le tissu social et spirituel du pays.
L’Algérie compte aujourd’hui près de 6 000 mausolées et zaouïas, selon les chiffres de l’Union nationale des zaouïas. Dans le seul sud algérien, Melk Kerdel en a recensé plus de 170 pour son ouvrage. Mais l’importance de ce patrimoine dépasse le simple décompte : ces lieux restent des foyers vivants de transmission, de mémoire collective.
Historiquement, les grandes confréries algériennes ont irradié bien au-delà de leurs frontières. La Tidjaniyya, née à Aïn Madhi, s’est étendue jusqu’au Sénégal, au Mali, au Niger, au Tchad. La Qadiriyya, depuis Tlemcen et Béjaïa, a semé son influence jusqu’au Darfour et en Afrique de l’Ouest. Même la Senousiyya, partie de Mostaganem, a marqué l’histoire de la Libye. C’est dire combien l’Algérie a été un foyer émetteur de spiritualité soufie sur tout le continent.
Au-delà de leur rôle spirituel, les zaouïas algériennes ont également marqué l’histoire politique et économique du continent. Leur influence géopolitique, bien que méconnue, mérite qu’on s’y attarde :
Quand les zaouïas algériennes façonnaient la géopolitique africaine
Si l’on connaît le rôle spirituel des zaouïas, leur influence historique sur la géopolitique africaine est souvent oubliée. Dès le XIXe siècle, certaines confréries algériennes ont servi de véritables réseaux transsahariens. La Tidjaniyya, par exemple, née à Aïn Madhi, a structuré des circuits commerciaux et spirituels entre le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest. Elle a permis de tisser des alliances tribales et politiques, favorisant la stabilité régionale face aux incursions coloniales.
Autre exemple : la Senousiyya, depuis Mostaganem puis la Libye, a pesé dans les équilibres du Sahara central. Elle a inspiré des mouvements de résistance contre la pénétration française et italienne, tout en consolidant des solidarités entre tribus sahariennes.
Ainsi, les zaouïas algériennes n’ont pas seulement diffusé un islam de paix : elles ont aussi construit, à travers les confréries, un maillage d’influence culturelle, économique et politique qui irrigue encore aujourd’hui les relations entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne.
Aujourd’hui encore, ces réseaux tissés par les zaouïas favorisent la paix et la cohésion. Face à un monde traversé par les crispations identitaires et les tentations de repli, leur message reste d’une brûlante actualité. Loin du dogmatisme, les zaouïas continuent de cultiver un islam de l’intériorité, de la tolérance et du dialogue interreligieux.
Bien sûr, certains redoutent la perte de cette authenticité face à la modernisation ou aux reconstructions tape-à-l’œil. Restaurer, oui, mais sans dénaturer. Un mausolée bâti en pierre locale, avec l’empreinte du temps, porte un sens que le marbre clinquant ne saurait restituer. C’est tout le défi pour ceux qui, comme Melk Kerdel, s’attachent à documenter, préserver et transmettre cet héritage.
En Algérie comme ailleurs en Afrique, les zaouïas demeurent des lieux de mémoire et de spiritualité vivante. Elles rappellent qu’un autre visage de l’islam existe : un islam porteur de sens et bâtisseur de paix. Dans un monde en quête de repères, elles ont plus que jamais un rôle à jouer.
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