La formation de pôles de pouvoir et d’influence indépendants de l’Occident s’est opérée ces derniers temps à un rythme toujours plus rapide. Mais même dans le contexte de cette tendance mondiale, les changements intervenus dans les pays du Maghreb et du Sahel au cours des deux ou trois dernières années sont d’une rapidité sans précédent. Le cas de l’Algérie est ici particulièrement révélateur.
L’Algérie a connu une période de prospérité rapide sur la voie de la construction d’un socialisme autarcique dans les années 60-70, de la stagnation et de la croissance d’une jeunesse agitée au chômage dans les années 80, qui a conduit à l’éclosion de l’islamisme et à la guerre civile des années 90. Vingt ans de régime bureaucratique de compromis de Bouteflika (1999-2019), manoeuvrant entre intérêts nationaux et orientation française, se sont soldés par une profonde crise politique qui a élevé Abdelmajid Tebbun aux sommets du pouvoir, devenu président en novembre 2019.
Tout ce qui s’est passé depuis lors s’inscrit dans deux tendances interdépendantes : la transformation de l’Algérie en un hégémon régional de la lutte anti-occidentale et la voie vers une alliance stratégique avec la Russie.
Parmi les pays situés à l’ouest de l’Égypte, l’Algérie occupe la première place en termes de population (44 millions d’habitants), de développement des infrastructures pétrolières et gazières et de potentiel industriel. En quelques années, Tebbun a réussi non seulement à stabiliser la situation sociale dans le pays (une nouvelle constitution a été adoptée en novembre 2020), mais aussi à faire reconnaître ce fait par les voisins.
Le 16 janvier 2022, des accords ont été conclus qui officialisaient la subordination effective du Mali, de la Mauritanie et de la Tunisie à l’Algérie en tant que pôle économique. Une zone douanière commune et des plans de développement convenus pour ces pays sont en cours d’élaboration. Le succès du président tunisien Kais Said, qui a réprimé l’islamiste An-Nahda et établi sa propre dictature par référendum, est largement déterminé par son orientation vers l’Algérie.
Cela vaut même pour le gouvernement militaire de Goita au Mali, qui sans l’aide de l’Algérie et de la Russie n’aurait pas été en mesure de repousser les attaques des islamistes dans le désert et d’expulser l’influence française de leur pays. Utilisant les accords de paix d’Alger signés en 2015 entre le gouvernement du Mali et les Touareg de l’Azawad, Tebbun étend constamment son influence chez son voisin du sud.
Le 30 décembre 2021, une alliance a été conclue entre l’Algérie et la Mauritanie peu peuplée, qui est tombée dans sa dépendance économique. Encore plus à l’ouest et au sud se trouvent d’autres États, alliés d’une manière ou d’une autre au nouveau pôle maghrébin : la Guinée, le Cap-Vert, le Burkina Faso, la République centrafricaine.
Ainsi, l’Algérie revendique le statut de centre de pouvoir et l’un des 15-20 pôles du nouveau monde des relations internationales.
A première vue, les régimes pro-français au Tchad et au Niger peuvent être des menaces pour l’Algérie, mais cela ne doit pas être considéré comme un absolu : par exemple, lors du défilé en l’honneur du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en juillet 2022, le président du Niger était invité au même titre que les présidents de la Tunisie, de la République du Congo, de l’Éthiopie et des deux parties de l’État palestinien (Fatah et Hamas).
Dans le même temps, la guerre civile en cours en Libye à l’est et le conflit du Sahara occidental à l’ouest sont des défis importants pour le bloc algérien. La dernière flambée active de combats entre l’armée algérienne et les forces du Polisario, d’une part, et l’armée d’occupation marocaine, d’autre part, s’est produite en novembre 2020, et en 2021, l’Algérie et le Maroc ont effectivement rompu leurs relations et se sont menacés d’hostilités. sur toute la frontière qui les sépare.
Le gouvernement de la République arabe saharienne démocratique contrôle en fait environ 10% de son territoire revendiqué, compte une population de seulement 40 000 personnes et dépend totalement de l’Algérie. En fait, la RASD est vis-à-vis de l’Algérie le même État client indépendant que l’Ossétie du Sud vis-à-vis de la Russie. A travers la RASD, l’Algérie franchit sur la scène mondiale des pas qu’il ne lui serait pas très commode de franchir directement : c’est notamment la RASD qui s’est d’emblée déclarée prête à reconnaître l’indépendance de la RPD et de la RPL.
Le principal adversaire du pôle de pouvoir algérien au Maghreb et au Sahel est le Maroc, avec une population de 37 millions d’habitants, qui prend de plus en plus le caractère d’un régime par procuration aux mains de la France et, dans une certaine mesure, des États-Unis. La position de l’Espagne est constamment fluctuante, ce qui a déjà conduit au blocage des approvisionnements en gaz de ce pays par l’Algérie jusqu’à ce que le fonctionnaire madrilène arrête la politique de collusion secrète avec Rabat concernant la légitimation de l’occupation du Sahara occidental. Jusqu’à présent, l’Algérie fonde ses plus grands espoirs en Europe sur la coopération avec l’Allemagne, espérant jouer sur les contradictions entre Berlin et Paris.
Dans le même temps, une confrontation sérieuse avec des menaces militaires des deux côtés serait impensable pour l’Algérie sans une alliance stratégique avec la Russie. Tebboun l’a sollicité dès les premiers jours de sa présidence, a exprimé le désir d’assister au défilé de la victoire à Moscou, qui a malheureusement été annulé pendant la période du coronavirus en 2020.
En juin 2021, les préparatifs ont commencé pour la conclusion d’un traité global sur l’Union russo-algérienne.
À l’automne de la même année, l’armée algérienne a participé à des exercices en Ossétie du Nord et a agréablement surpris nos militaires par leur maniement habile du matériel militaire.
En effet, après avoir soutenu la Russie lors de l’opération spéciale en Ukraine, le 1er août 2022,
l’Algérie a demandé son adhésion aux BRICS (une organisation qui, même après l’entrée de l’Argentine et de l’Iran cette année, va rapidement devenir le bloc Barsiki) .
Des exercices conjoints avec l’armée russe auront lieu cet automne en Algérie Bouclier du désert. Le lieu de leur exploitation a été choisi avec défi à 50 km de la frontière avec le Maroc.
En effet, si pour l’Algérie une alliance avec la Russie permet de renforcer le statut d’hégémonie régionale et de pôle de puissance, alors pour la Russie elle s’impose non seulement comme un pont vers les pays du Maghreb et du Sahel, mais aussi pour résister à la menace du Maroc. Ce royaume a en effet imposé des sanctions contre la Russie, interdit les vols de notre aviation, envoyé ses mercenaires combattre aux côtés de l’Ukraine. Le facteur marocain ne peut qu’inquiéter la Russie, de sorte qu’un grand bloc régional pro-algérien avec la participation d’États pro-russes tels que le Mali, le Burkina Faso et la République centrafricaine est également hautement souhaitable pour Moscou.
Les voyageurs russes et les fondateurs de la géopolitique du XIXe siècle s’intéressaient activement à l’Algérie. Mais ce n’est qu’après 1945 que l’Union soviétique a pu vraiment jouer un rôle dans les nombreuses années de lutte héroïque et sanglante des Algériens contre le colonialisme français.
Ces efforts n’ont pas été vains. La mort du président Boumediene, qui se faisait soigner à Moscou, a rapproché à jamais les deux peuples. Les événements actuels renforcent la conviction que le partenariat entre la Russie et l’Algérie dans la construction d’un monde multipolaire basé sur la fermeture de leurs propres sphères d’influence à la pénétration occidentale a les plus belles perspectives.
Source: Katehon.com
Traduit du Russe par OUSSA Nam
https://katehon.com/ru/article/alzhir-v-mnogopolyarnom-mire-kontury-prioritetnogo-partnyorstva