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J’ai lu de nombreuses réactions à la publication de L’Express du 27 mai 2025, évoquant une possible décision de la France visant à geler les biens de responsables algériens en France. L’article, basé sur des fuites non officielles, affirme que cette mesure serait liée au refus d’Alger de rapatrier certains ressortissants en situation irrégulière, et envisage des restrictions d’accès à des biens immobiliers détenus par des dignitaires algériens.
En réponse à cette fuite — non assumée par aucune autorité française — l’Algérie s’est exprimée par le biais de l’APS dans un communiqué (https://www.aps.dz/…/187478-les-officines-francaises…) publié le 29 mai. Le texte dénonçait une tentative de manipulation politique par certains milieux français, qualifiée de « malhabile », et concluait par un « Chiche, passez à l’acte ! », adressé à ceux qui menaçaient d’exposer ou de geler les avoirs.
Parmi les critiques exprimées, deux analyses structurées ont particulièrement retenu l’attention :
– Celle d’ @Ali Bensaad, publiée sur le blog de Mediapart, ( https://blogs.mediapart.fr/…/fuites-sur-les-biens-des…? )
– et celle de Mr Abed Charef, via une publication Facebook aujourd’hui :
Ce qu’on reproche à la réponse algérienne :
– Certains estiment que la réponse de l’APS, malgré sa fermeté de ton, manque de substance. Elle ne conteste pas les faits relayés par L’Express, n’annonce aucune vérification ni enquête, et ne tente pas d’apaiser l’opinion algérienne par des preuves ou des engagements concrets. Ce silence sur le fond est alors interprété comme un aveu tacite.
– D’autres adoptent une tonalité plus ironique : pour eux, dire « Chiche ! » à une menace que l’on sait potentiellement dévastatrice revient à jouer au plus malin avec un revolver sur la tempe. Ils reprochent aux autorités de se contenter de postures sans conséquences, dans un contexte où le flou sur les noms et les faits alimente la suspicion publique.
Dans les deux cas, la critique porte non seulement sur la réponse elle-même, mais sur l’absence de suite : ni initiative judiciaire, ni communication clarificatrice, ni signe d’un assainissement institutionnel.
Et s’il n’y avait eu aucune réponse ?
Il est intéressant d’imaginer ce qu’aurait été la lecture d’une absence totale de réaction.
Dans ce cas, l’État aurait probablement été accusé de se murer dans un silence gêné, de ne pas maîtriser la situation, ou pire, de craindre que toute parole publique ne déclenche un effet domino. Une fuite d’un média privé français, aussi non officielle soit-elle, aurait alors dicté la loi du silence à un État souverain.
Ce scénario — un silence total — aurait été interprété comme encore plus grave que le « chiche », car il aurait suggéré une impuissance ou une fragilité structurelle face à la menace d’exposition.
Pourquoi la réponse de l’APS est suffisante à ce stade
La publication par l’APS permet à l’Algérie de répondre publiquement, sans pour autant engager une déclaration d’État à État. Le canal choisi — un média d’information d’État — signale une position assumée, mais non formalisée au plan diplomatique.
C’est un équilibre délicat :
Si l’État algérien avait répondu par une note officielle, il aurait consacré une fuite médiatique privée comme un acte diplomatique — ce qui aurait été disproportionné et potentiellement piégeux.
À l’inverse, si une réaction était venue d’un média privé algérien, certains auraient accusé les autorités de se dérober, en laissant d’autres parler à leur place.
En cela, le choix de l’APS est stratégique. Il permet de répondre fermement, sans monter le ton, et surtout sans laisser place à l’ambiguïté : le message vient bien de l’État, mais ce n’est pas un geste d’escalade. C’est une ligne souveraine. Elle rappelle aussi, en filigrane, les 51 commissions rogatoires envoyées à la France et restées sans suite — une manière de renverser la charge de la crédibilité.
Une frustration révélatrice
Certaines critiques adressées à la posture algérienne traduisent en réalité une forme de déception stratégique.
Ce n’est pas tant la réponse en elle-même qui dérange, que le fait qu’elle soit précisément ce que certains redoutaient : une réponse maîtrisée, difficile à attaquer, et volontairement inclassable.
Elle n’alimente pas un conflit ouvert.
Elle ne valide pas non plus les accusations.
Elle défie, renvoie la balle là où il faut, et refuse de se laisser enfermer dans un scénario préfabriqué.
C’est pourquoi cette réaction ne plaît pas à tout le monde : elle échappe au choc frontal, au vide total et à la surenchère. Elle refuse le piège, tout en refusant le silence.
Et c’est précisément là, peut-être, que réside sa principale vertu diplomatique.