Lorsqu’on évoque la Régence d’Alger, beaucoup d’historiens, y compris en Algérie, continuent d’entretenir un amalgame persistant : celui d’un territoire vassal de l’Empire ottoman. Cette image pourtant largement dépassée est contredite par une montagne de documents soigneusement conservés : correspondances diplomatiques, traités de paix, lettres de consuls étrangers en poste à Alger, déclarations de guerre, archives françaises, espagnoles, anglaises et même turques.
À mon sens, il est capital de sortir de cette lecture simpliste et de rendre à Alger sa juste place dans l’histoire : celle d’un royaume, puis d’une république, authentiquement indépendante.
Dès la fin du XVe siècle, avec l’arrivée de Khierridine Barberousse et son frère Arroudj, Alger s’érige en un véritable sultanat. Le dernier roi autochtone, Sidi Ahmed Toumi, scelle une alliance pragmatique avec les corsaires pour chasser l’envahisseur espagnol. Barberousse puis son fils Hassan, né à Alger, établissent un pouvoir qui, bien qu’entretenant des liens opportunistes avec Istanbul, reste fondamentalement autonome.
Au fil du temps, cette autonomie se renforce. Lors de la période des Aghas (1659-1671), les Algériens prennent une décision historique : ils refusent catégoriquement au dernier envoyé du Sultan ottoman de débarquer sur leur sol. Un geste à la fois symbolique et politique qui enterre toute prétention ottomane à une autorité réelle sur Alger.
C’est sous l’autorité des Deys, élus par un Diwan (conseil) totalement algérien, que cette indépendance devient irréversible. De 1672 jusqu’à l’invasion française de 1830, le gouvernement d’Alger fonctionne comme « une république oligarchique ou une monarchie indépendante de la Porte », selon les mots du commandant Rinn.
Les traités de paix confirment cette réalité diplomatique. Celui signé avec la Suède en 1729, renouvelé en 1792, stipule clairement une paix établie entre la couronne de Suède et « la République d’Alger ». Quant au traité avec l’Espagne de 1749, il évoque explicitement les « Algériens » et non les « Ottomans », prouvant que, pour les chancelleries européennes, Alger n’était nullement un simple émissaire du Sultan.
À mes yeux, ces documents officiels valent bien plus qu’une interprétation romantique des rapports entre Alger et Istanbul. Ils sont la preuve froide, juridique, que la Régence était reconnue comme un État indépendant.
Même les descriptions géographiques du XVIIIe siècle, comme dans l’ouvrage « Histoire du Royaume d’Alger » de Laugier de Tassy, tracent des frontières précises. Alger est délimitée au nord par la Méditerranée, à l’est par le Royaume de Tunis, à l’ouest par le Royaume de Fez, et au sud par le désert. Ces frontières affirmées témoignent d’une souveraineté territoriale sans ambiguïté, digne d’un véritable État.
Le mode de désignation des dirigeants (par élection au sein d’une élite militaire), le rejet du contrôle ottoman, l’établissement de relations bilatérales directes avec les puissances européennes : tout concourt à dire que la Régence d’Alger, loin d’être une simple province ottomane, a su maintenir une existence souveraine pendant près de deux siècles.
Il est donc urgent de revisiter notre propre histoire avec rigueur et honnêteté. Persister à voir Alger comme une dépendance ottomane revient à effacer une part précieuse de l’ingéniosité politique et diplomatique de nos ancêtres.