Par Hope&ChaDia
Dans nos deux premiers articles, nous avons exposé deux réalités structurelles :
La compétence est rare — et cette rareté est trop souvent ignorée: https://jazairhope.org/fr/les-competences-existent-mais-sont-bloquees-mythe-commode-ou-diagnostic-reel/
La compétence s’organise difficilement, contrairement à l’incompétence, qui, par réflexe défensif, forme bloc: https://jazairhope.org/fr/partie-2-les-competences-existent-mais-sont-bloquees-mythe-commode-ou-diagnostic-reel/
Mais il y a un troisième phénomène qui verrouille encore davantage la situation. Ce n’est pas seulement que la compétence est fragile : c’est qu’elle est fréquemment écartée au profit de l’incompétence.
Et cette fois, il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement ponctuel. C’est une mécanique — une mécanique qui s’auto-entretient.
Une logique de promotion structurellement biaisée
Il faut le dire sans détour : dans beaucoup d’organisations, les critères de promotion ne sont pas faits pour détecter la compétence réelle. Ce sont d’autres facteurs, souvent moins visibles, qui font pencher la balance :
1. Le principe de Peter
Formulé par Laurence J. Peter, ce principe soutient que dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence. En gros, quelqu’un qui est bon dans son poste est promu… jusqu’à ce qu’il atteigne un poste pour lequel il n’a pas les compétences requises. Et là, il y reste, souvent pour longtemps.
2. La confusion entre performance et posture
Un excellent ingénieur, un bon vendeur ou un bon analyste… n’est pas forcément un bon manager. Mais on les promeut en pensant que leurs compétences techniques suffisent, sans évaluer leur aptitude à diriger, motiver ou prendre des décisions stratégiques.
3. Les logiques d’affinité et de loyauté
Dans beaucoup d’organisations, la compétence n’est pas le seul critère de promotion. Il y a aussi les réseaux, les affinités personnelles, les loyautés, et parfois les jeux de pouvoir. Cela peut favoriser ceux qui savent « bien jouer », au détriment de ceux qui savent « bien faire ».
4. Le management défensif
Parfois, une personne est promue non pas pour sa valeur, mais pour l’écarter d’un service, ou pour éviter un conflit. On pense : « Au lieu de le virer, on va le promouvoir… il ne fera plus de dégâts ici. » Oui, ça existe, ou encore:
« On ne peut pas le licencier, mais on peut le pousser vers le haut. »
5. L’absence de feedback honnête :
Dans les environnements où les évaluations sont biaisées, les erreurs camouflées, et où personne n’ose dire que « le roi est nu », les incompétents montent… car aucune sonnette d’alarme ne retentit à temps.
6. L’effet Dunning-Kruger
Ce biais cognitif montre que les moins compétents surestiment souvent leur niveau, tandis que les plus compétents doutent d’eux-mêmes. Résultat ? Ceux qui se mettent en avant, qui paraissent sûrs d’eux, qui “vendent” bien, sont parfois promus… même si leurs résultats sont discutables.
Quand la compétence est rare, l’impact est démultiplié
Ces erreurs de promotion seraient déjà graves dans un système riche en talents.
Mais quand la compétence est déjà peu nombreuse, ces choix deviennent meurtriers pour l’organisation.
Tu perds deux fois :
Tu donnes le pouvoir à quelqu’un qui va faire régresser le système.
Tu décourages (ou fais fuir) ceux qui auraient pu l’améliorer.
Et comme les incompétents ont tendance à recruter d’autres profils aussi inoffensifs qu’eux… c’est la médiocrité qui devient la norme.
Ce n’est pas un mal du Sud. C’est une mécanique universelle.
Il serait tentant de croire que cette logique n’existe que dans les pays en développement, les systèmes clientélistes ou les bureaucraties vieillissantes.
Mais ce serait une erreur de diagnostic.
Des travaux de sociologie des organisations et de management montrent que ce phénomène est mondial, en effet le phénomène de promotion de l’incompétence n’est pas propre aux pays du Sud. Il a été identifié et analysé dans des environnements hautement développés et performants :
• Le principe de Peter, formulé par Laurence J. Peter en 1969 aux États-Unis, a été confirmé par de nombreuses études contemporaines, notamment dans le Journal of Economic Behavior & Organization (2018), qui a modélisé le phénomène dans des simulations d’entreprise.
• Une étude publiée dans le Harvard Business Review (Tomas Chamorro-Premuzic, 2013) montre que les individus trop confiants, narcissiques ou charismatiques sont plus souvent promus — au détriment de profils plus compétents mais moins visibles.
• Dans un rapport McKinsey de 2019 sur le leadership, il est observé que seulement 20% des cadres dirigeants sont considérés comme réellement performants, souvent parce que les processus de promotion récompensent des critères de conformité ou de réseau plus que de compétence réelle.
• Le cas de Nokia, étudié par Yves Doz et Keeley Wilson (Ringtone: Exploring the Rise and Fall of Nokia in Mobile Phones, 2017), illustre comment une culture d’entreprise qui évitait la confrontation et favorisait la loyauté interne a tué l’innovation et laissé des incompétents gérer des périodes critiques.
• Le sociologue Alain Ehrenberg, dans La fatigue d’être soi, analyse comment des systèmes modernes peuvent conduire à la mise en avant de profils lisses, adaptés aux normes, mais souvent peu compétents à gérer le changement.
➤ En résumé : ce n’est pas une défaillance du Sud. C’est une faille universelle dans la façon dont les organisations humaines sélectionnent leurs chefs.
Ce que beaucoup appellent « le paradoxe du leadership » :
les meilleurs profils n’accèdent pas au pouvoir, parce qu’ils doutent, ou dérangent.
Notre avis ?
La promotion de l’incompétence n’est pas une défaillance individuelle, ni même un simple problème de gouvernance.
C’est une mécanique bien plus profonde, qui touche tous les niveaux de la hiérarchie, dans le public comme dans le privé, y compris dans des entreprises familiales ou associatives.
Ce serait une erreur — une facilité, même — de rejeter la faute uniquement sur « l’État », « les dirigeants », ou « les responsables ». Car ce phénomène est systémique, universel, transversal. Il ne vient pas seulement du sommet : il s’installe partout où la loyauté, la conformité ou l’apparence remplacent l’impact réel.
Et tant qu’on ne réformera pas en profondeur :
les critères de reconnaissance,
les méthodes de sélection,
et la culture du feedback honnête et exigeant,
on continuera à promouvoir des figures lisses, à produire des élites qui désapprennent à faire, et à confier des leviers à des gestionnaires de façade — qui organisent l’inaction avec efficacité.
2 comments
Un des paradoxes nuisibles en Algérie!
En Algérie ceux qui ne réussissent pas parce que paresseux, incompétents, cupides et souvent salauds, ont trouvé une astuce, une ingéniosité, une roublardise.
Ils s’expatrient, s’improvisent opposants, font des vidéos acerbes contre le “pouvoir”, les “institutions” etc, durant des années, puis se calment, se repentissent en marchandant leur retour!
Miracle, ils sont intégrés, excusés, et surtout aidés dans toute leur entreprise en leurs ouvrant toutes les portes! Ils deviennent ainsi “respectables”, “affairistes” et riches!
Vous voulez des exemples?
oui il faut les rajouter….