Lorsque deux créatrices d’exception se rencontrent, le fruit de leur collaboration ne peut être qu’un hymne à la beauté, à la profondeur culturelle, et à la mémoire d’une nation. C’est ce qu’a brillamment démontré l’émission Culture, l’autre regard, de Djawad Rostom Touati, qui a accueilli Majda Benchaabane, artiste peintre, et Selma Shergi, romancière, pour un échange passionnant autour de leur œuvre commune : Rais Hamidou, chevalier des mers.
Dès les premiers instants, l’émotion s’installe. Majda Benchaabane, dont le style unique, marqué par la fameuse spirale du Zintangle, exprime le mouvement, la vie, et une quête constante de sens, revient sur sa collaboration avec Selma. Leur rencontre, d’abord virtuelle, a très vite évolué vers un échange riche où l’art s’est mis au service de l’histoire. Majda a illustré avec passion la couverture du roman, ainsi qu’une scène clé, mêlant géométrie algérienne, couleurs du patrimoine, et formes évocatrices. Je trouve magnifique cette façon de rendre hommage à l’âme d’Alger, non seulement par la narration mais aussi par le regard artistique.
Le roman, quant à lui, retrace la vie héroïque de Rais Hamidou, figure emblématique de la marine algérienne avant la colonisation. Pour Selma, ce projet est né d’un besoin viscéral de comprendre son identité. Son roman, initialement écrit en anglais et traduit par ses soins en français, est une œuvre de résistance intellectuelle, une plongée dans un passé glorieux trop souvent éclipsé. J’ai été particulièrement touché par cette volonté de redonner à l’Algérie son histoire précoloniale, en la rendant vivante, vibrante, accessible.
Rais Hamidou, c’est l’archétype du héros : courageux, stratège, aimé de son peuple et respecté même de ses ennemis. Le roman ne se limite pas aux faits historiques. Il insuffle une dimension humaine, notamment à travers l’histoire d’amour avec Mariam, une femme forte, médecin autodidacte, symbole de la femme algérienne qui soutient, qui soigne, qui résiste. Selma a enrichi l’histoire par des éléments de fiction, mais toujours avec la volonté de rester fidèle à l’esprit de l’époque. Ce mélange de réalité et d’imaginaire, maîtrisé avec finesse, donne à ce roman une profondeur rare.
Un passage marquant de l’émission a évoqué un lien fascinant entre art et mathématiques. Majda, à travers ses ateliers de motifs géométriques, fait découvrir à ses participants que la créativité naît aussi des contraintes. Dessiner à partir d’un point, suivre des étapes précises, puis s’en libérer, c’est une façon unique de stimuler l’intelligence visuelle et intuitive. Je trouve cela profondément juste : l’art n’est pas l’ennemi des mathématiques, il en est parfois l’extension poétique. Le mouvement des spirales, la précision des formes, tout cela parle aussi à notre logique, autant qu’à notre imagination.
Au-delà du roman, l’émission s’est aussi penchée sur la pratique artistique de Majda. Ses ateliers, espaces de créativité et de transmission, sont autant de lieux où chacun, adulte ou enfant, peut se reconnecter à son potentiel créatif, loin des carcans logico-mathématiques du système éducatif. Majda y insuffle un esprit de liberté, de mouvement, fidèle à ses spirales, et invite les participants à se découvrir eux-mêmes. Ce que j’admire ici, c’est la capacité de l’art à devenir un levier d’émancipation personnelle, une forme subtile mais puissante de thérapie par la création.
L’émission s’est conclue sur l’importance de se réapproprier notre histoire, de la transmettre, et de la faire vivre par tous les moyens possibles : littérature, peinture, cinéma. Selma, Majda, chacune dans son domaine, œuvre avec talent à cette mission. Leur travail commun sur Rais Hamidou est une promesse. Celle que l’Algérie, la bien gardée, continue de briller par la voix de ses enfants.
Hope&ChaDia