Les réseaux sociaux fonctionnent comme un immense marché de l’attention où les algorithmes récompensent la viralité au détriment de la profondeur. Un constat s’impose : les contenus intellectuellement exigeants peinent à rivaliser avec les vidéos divertissantes ou polémiques.
Mais cette réalité est plus complexe qu’elle n’y paraît. Elle repose sur des mécanismes psychologiques et technologiques bien précis, notamment ceux décrits par la pyramide de Maslow, un modèle qui classe les besoins humains en six niveaux :
1- INFLUENCE INTERNATIONALE
- Devenir un acteur mondial et projeter son influence sur la scène internationale.
- Diplomatie forte, promotion de la coopération internationale et contribution à la gouvernance et au développement mondiaux.
2- IDENTITÉ NATIONALE & COHÉSION SOCIALE
- Renforcer la mission nationale et le devoir civique.
- Engagement citoyen, valeurs partagées, harmonie sociale et intégration.
- Préservation du patrimoine culturel et des traditions.
3- ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR & TECHNOLOGIE
- Éducation avancée, main-d’œuvre qualifiée, institutions renforcées.
- Recherche et développement, innovation, croissance économique à long terme.
- Productivité élevée et compétitivité, progrès sociétal.
4- DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
- Accès à une éducation de base, création d’emplois, amélioration des conditions de vie.
- Infrastructures, soutien aux entreprises, attraction des investissements.
- Génération de valeur productive.
5- SÉCURITÉ & PROTECTION
- Sécurité personnelle et protection domestique.
- Lutte contre la criminalité, la corruption et autres menaces.
- Protection du territoire, application des lois.
6- BESOINS FONDAMENTAUX
- Besoins critiques pour le fonctionnement de la société.
- Accès à la nourriture, à l’eau potable, aux infrastructures sanitaires et à l’électricité.
Plus un besoin est bas dans la pyramide, plus il est universel et immédiat. Plus il est haut, plus il nécessite un effort cognitif. Or, les réseaux sociaux sont conçus pour maximiser les interactions rapides et émotionnelles, ce qui favorise naturellement les contenus liés aux niveaux inférieurs.
1. La tyrannie des algorithmes : pourquoi le “bas de la pyramide” gagne ?
Les algorithmes des plateformes privilégient les contenus qui captent instantanément l’attention et génèrent un engagement immédiat (likes, commentaires, partages). Les trois premiers niveaux de Maslow dominent largement les flux de contenu viral :
- Besoins physiologiques : Les tutoriels fitness (#FitTok qui cumule 190 milliards de vues) et les recettes virales (comme le fameux fetapasta de TikTok).
- Besoins de sécurité : Les conseils financiers simplistes (“Devenez riche en 3 étapes”) ou les vidéos de développement personnel à l’émotion facile.
- Besoins d’appartenance : Les défis viraux (#IceBucketChallenge), les clashs sur Twitter/X et les tendances vestimentaires (#TikTokMadeMeBuyIt).
Ces contenus fonctionnent parce qu’ils s’adaptent parfaitement aux habitudes de consommation rapide imposées par les réseaux sociaux. Une étude de Microsoft révèle que la durée moyenne d’attention humaine est passée de 12 secondes à 8 secondes depuis l’ère mobile. Les contenus longs et exigeants sont en décalage avec ce mode de consommation.
2. Les exceptions qui confirment la règle : le cas des vulgarisateurs
Certains créateurs parviennent à faire émerger du contenu intellectuellement stimulant en l’adaptant aux règles des réseaux sociaux. Ils utilisent des techniques qui empruntent aux niveaux inférieurs de la pyramide de Maslow pour rendre accessibles des sujets qui appartiennent aux niveaux supérieurs :
- Storytelling émotionnel : Le physicien Brian Cox illustre l’astrophysique avec des paysages épiques et des métaphores grandioses.
- Formats dynamiques : La chaîne Kurzgesagt vulgarise la biologie et la philosophie grâce à des animations colorées et un ton entraînant.
- Phrases chocs : Le philosophe Darren McGarvey résume des concepts sociologiques en threads percutants sur Twitter.
Bien que ces méthodes permettent à des sujets complexes d’atteindre un large public, elles ont un coût : elles exigent souvent une simplification extrême qui sacrifie la nuance. Une critique récurrente, notamment dans le journal Nature, est que cette approche tend parfois à réduire la science à des “faits alternatifs”, tronqués pour mieux coller aux exigences des réseaux sociaux.
En fin de compte, ces vulgarisateurs montent certes dans la pyramide de Maslow, mais en empruntant les codes des niveaux inférieurs. Cela confirme que le succès est toujours conditionné par la capacité à stimuler des réactions émotionnelles et instantanées.
3. Le paradoxe de l’influence : viralité vs impact réel
Si les contenus liés aux besoins primaires sont les plus visibles, leur impact réel reste limité dans le temps. À l’inverse, les contenus plus complexes, bien que moins populaires, influencent souvent des publics clés.
- Étude de cas : La chaîne YouTube Veritasium (14M d’abonnés) explique des concepts scientifiques complexes. Bien qu’il ait moins d’audience qu’un défi TikTok, son public inclut des enseignants, des ingénieurs et des chercheurs qui diffusent ces idées dans des contextes stratégiques.
- Données : Un rapport du MIT montre que les articles longs sur LinkedIn génèrent moins de vues que les posts courts, mais trois fois plus de leads professionnels.
- La montée des niches : Des plateformes comme Substack ou Patreon permettent aux créateurs intellectuels de monétiser une audience réduite mais engagée (exemple : la newsletter The Ruffian, spécialisée en philosophie politique, compte 50k abonnés payants).
Ces éléments suggèrent que la viralité ne doit pas être le seul critère de succès. Dans la vie réelle, l’influence durable est souvent le fait de contenus exigeants, même s’ils sont moins populaires sur les réseaux.
4. Le futur des réseaux sociaux : vers un équilibre ?
Face à la saturation du contenu éphémère, on observe un retour du long format et une volonté de favoriser des contenus plus qualitatifs :
- L’essor des podcasts : Des figures comme Lex Fridman animent des discussions de plusieurs heures avec des experts de haut niveau.
- L’éducation mise en avant : TikTok a lancé un programme STEM pour promouvoir les contenus scientifiques.
- L’émergence de communautés engagées : Des forums et newsletters de niche prennent de l’ampleur comme alternatives aux réseaux traditionnels.
Conclusion : la viralité n’est pas le seul succès
La relation entre le niveau intellectuel du contenu et sa popularité est bien inversement proportionnelle sur les réseaux sociaux traditionnels. Les algorithmes récompensent ce qui capte l’attention immédiatement, et non ce qui élève la réflexion.
Cependant, ce sont précisément ces contenus exigeants qui jouent un rôle clé dans la société. S’ils touchent une audience plus restreinte, cette audience est souvent composée de décideurs, de chercheurs, d’entrepreneurs, et de leaders d’opinion, soit ceux qui influencent réellement l’avenir.
Autrement dit, la viralité éphémère alimente le bruit, mais le contenu de fond façonne le monde. Comme l’écrit le sociologue Zeynep Tufekci : “Les algorithmes récompensent ce qui captive, pas ce qui élève.”
Hope&ChaDia