Home Algérie Algérienne Une analyse statistique : le colonialisme a coûté à l’Algérie entre 8 et 15 millions de vies (1830–1962)

Une analyse statistique : le colonialisme a coûté à l’Algérie entre 8 et 15 millions de vies (1830–1962)

by Hope Jzr
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Introduction

De 1830 à 1962, l’Algérie a subi l’une des occupations coloniales les plus brutales et transformatrices de l’histoire moderne sous domination française. Alors que la population mondiale explosait durant cette période grâce à l’industrialisation, aux progrès médicaux et à l’innovation agricole, la trajectoire démographique de l’Algérie a divergé de manière frappante. Cet article analyse les données démographiques algériennes de 1830 à 1962, révélant comment la violence coloniale systémique, l’exploitation économique et les perturbations sociales ont freiné la croissance bien en deçà des normes mondiales et régionales.

 

Référence précoloniale (avant 1830)
Avant l’invasion française de 1830, la population algérienne est estimée entre 3 et 4 millions, selon les archives ottomanes et les récits de voyageurs européens (Kateb, 2001). La région faisait partie de l’Empire ottoman, avec une économie majoritairement agraire et des structures sociales tribales.

 

Période coloniale (1830–1962) : phases de croissance réprimée
L’occupation française de 132 ans en Algérie peut être divisée en phases marquées par la conquête, la colonisation et la répression. La croissance démographique a été étouffée par des politiques délibérées et une négligence systémique.

1. Conquête et mortalité de masse (1830–1870)

  • Campagnes militaires françaises : La conquête initiale (1830–1847) et les opérations contre la résistance (ex. rébellion de l’Émir Abdelkader) ont causé entre 500 000 et 1 million de morts algériens par guerres, massacres et tactiques de la terre brûlée (Horne, 1977).
  • Déplacements forcés : Les tribus ont été reléguées dans des zones arides, perturbant la production alimentaire.
  • Famine de 1866–1868 : Les politiques de confiscation des terres et de taxation ont déclenché une famine catastrophique, tuant 500 000 à 800 000 Algériens (15–20 % de la population) (Ageron, 1991).

2. Colonialisme de peuplement et exploitation économique (1870–1945)

  • Accaparement des terres : En 1900, les colons français contrôlaient 40 % des terres arables, déplaçant les paysans (Kateb, 2001).
  • Apartheid sanitaire : Les Européens bénéficiaient de soins modernes, tandis que les Algériens subissaient des épidémies (choléra, typhus) et un taux de mortalité infantile de 30–40 % (Clio-Infra, s.d.).
  • Exploitation du travail : Le travail forcé dans les mines, fermes et infrastructures a réduit les naissances et accru la mortalité (Fanon, 1961).

3. Guerres mondiales et crise coloniale finale (1945–1962)

  • Seconde Guerre mondiale : Plus de 200 000 Algériens furent enrôlés de force ; famines et chômage post-guerre aggravèrent les conditions (Annuaire démographique de l’ONU).
  • Guerre d’indépendance (1954–1962) : Les tactiques contre-insurrectionnelles françaises (internements massifs, tortures, destruction de villages) tuèrent entre 300 000 et 1 million d’Algériens et déplacèrent 2 millions de personnes (Horne, 1977).

 

Données démographiques et taux de croissance

Année

Population

estimée

(millions)

Notes
18303,5Référence précoloniale (Kateb, 2001).
18662,9Effondrement post-famine (Ageron, 1991).
19004,5Lente reprise sous l’économie coloniale (Clio-Infra, s.d.).
19548,7Recensement pré-guerre (BnF Gallica).
196210,1Estimation post-indépendance (ONU).

 

Analyse des taux de croissance annuels

  • 1830–1962 : ~0,8 % annuel (croissance totale : ~x3).
  • Moyenne mondiale (XIXᵉ–XXᵉ) : ~1,0–1,2 % annuel (Clio-Infra, s.d.).
  • Comparaisons régionales :
    • Égypte : 1,3 % annuel (1830 : 4 millions → 1960 : 26 millions) (McCarthy, 1990).
    • Maroc : 1,1 % annuel (1830 : 3 millions → 1960 : 12 millions) (Weeks, 2015).

L’Algérie accusait un retard de 20–50 % par rapport à ses voisins, attribuable aux politiques coloniales.

 

Coût démographique du colonialisme


Si l’Algérie avait suivi le taux égyptien (1,3 %), sa population en 1962 aurait atteint ~25 millions. Avec le taux marocain (1,1 %), elle aurait été de ~18 millions (McCarthy, 1990). Cela suggère que le colonialisme a coûté à l’Algérie entre 8 et 15 millions de vies en potentiel démographique non réalisé.

 

Facteurs clés de la suppression démographique

  • Confiscation des terres et famine : Les colons ont réduit les Algériens au statut de métayers ou de sans-terre, provoquant malnutrition chronique (Kateb, 2001).
  • Agriculture d’exportation : Les cultures de subsistance furent remplacées par la vigne et les agrumes, aggravant l’insécurité alimentaire (Ageron, 1991).
  • Disparités sanitaires : Les hôpitaux servaient quasi-exclusivement les Européens ; la mortalité algérienne resta 2–3x plus élevée (Fanon, 1961).
  • Perturbations socioculturelles : Les structures tribales furent démantelées, et 90 % des Algériens privés d’éducation (Horne, 1977 ; Kateb, 2001).
  • Guerre et répression : La guerre d’indépendance a réduit la croissance de 1 à 2 millions de vies potentielles (Horne, 1977).

 

Redressement post-indépendance (1962–aujourd’hui)
Après 1962, la population algérienne a bondi :

  • 1962–2023 : De 10,1 à 45 millions (x4,5), grâce à une baisse de la mortalité infantile (de 40 % à <2 %) et à l’urbanisation (ONU).

Cette croissance souligne l’impact artificiel des politiques coloniales sur la démographie algérienne.

 

Conclusion : le colonialisme comme sabotage démographique
La croissance démographique de l’Algérie entre 1830 et 1962 ne fut pas simplement « lente », mais activement réprimée par des politiques françaises visant à affaiblir la société algérienne. Les données révèlent :

  • Un siècle de croissance perdue à cause de violences et d’exploitation.
  • Un redressement post-1962 illustrant le coût humain durable du colonialisme.

Cette étude rappelle que les statistiques démographiques ne sont pas neutres : elles reflètent des rapports de force, des violences et des résistances. Les chiffres algériens racontent une histoire de survie face à un système conçu pour l’effacer.

 

Références et lectures complémentaires

  • Kateb, Kamel (2001). École, population et société en Algérie. Vous pouvez consulter une présentation de cet ouvrage sur OpenEdition Journals : 
  • Clio-Infra (s.d.). Données démographiques historiques mondiales. Clio-Infra propose une base de données sur les indicateurs sociaux, économiques et institutionnels mondiaux des cinq derniers siècles :
  • Ageron, Charles-Robert (1991). L’Algérie moderne : de 1830 à nos jours. Ouvrage disponible dans de nombreuses bibliothèques et librairies en ligne.
  • Horne, Alistair (1977). Histoire de la guerre d’Algérie (trad. A Savage War of Peace). Cet ouvrage est également disponible dans diverses bibliothèques et librairies en ligne.
  • Fanon, Frantz (1961). Les Damnés de la Terre. Archive.org (emprunt gratuit). Vous pouvez emprunter gratuitement cet ouvrage sur Archive.org
  • Archives coloniales : BnF Gallica (Recensement Algérie). La Bibliothèque nationale de France propose des archives coloniales, y compris des recensements de l’Algérie, sur Gallica.
  • Données ONU : Portail de données des Nations Unies. Le portail de données des Nations Unies offre un accès à diverses statistiques mondiales

Notes sur l’accès aux données

  • Les archives coloniales françaises sont numérisées mais nécessitent la maîtrise du français.
  • Les travaux de Fanon sont accessibles gratuitement sur Archive.org.
  • Clio-Infra et l’ONU proposent des outils démographiques en libre accès.

 

Hope & ChaDia

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