Source : saharaconservation.org avril 2018
Le Sahara Conservation Fund travaille à la sauvegarde de la biodiversité au Sahara et au Sahel depuis le début des années 2000.
La flore et la faune de cette vaste région sont bien plus abondantes et diversifiées que la plupart des gens ne le pensent, y compris les biologistes et autres défenseurs de l’environnement. Ce manque de sensibilisation a contribué au déclin de ses plantes et de ses animaux.
Le SCF veut promouvoir le travail des personnes qui mettent en valeur la formidable biodiversité de cette partie de l’Afrique, comme le photographe et cinéaste Redouane Tahri. Cette interview attire également l’attention sur les incroyables écosystèmes sahariens.
Redouane, vous vivez en Algérie, un pays largement couvert par le Sahara. Vous passez beaucoup de temps dans le désert, à filmer ou à photographier les espèces qui y vivent. Aujourd’hui, votre travail gagne rapidement en visibilité en Algérie.
1) Pouvez-vous présenter votre film ?
Tout d’abord, je voudrais vous remercier pour les efforts que vous faites depuis de nombreuses années en Afrique pour préserver la diversité de la faune et de la flore sahélo-sahariennes.
Pour présenter brièvement ce film, qui dure 52 minutes, je dirais qu’il a été tourné avec des acteurs indomptables, vivant librement dans la nature… Il s’agit de la faune de l’Algérie, et plus précisément de la faune du sud de l’Algérie. C’est un endroit calme et très chaud, caractérisé par une grande variété biologique et écologique. Les écosystèmes varient également beaucoup, du désert ouvert aux montagnes, et abritent environ 50 espèces animales en plus des insectes et des plantes. Le film vise à montrer cette biodiversité étonnante et riche.
2) Où et comment votre travail est-il diffusé, pouvez-vous nous dire comment il a été reçu par le public et quels événements médiatiques vous pourriez organiser ?
Pour dire la vérité, j’ai commencé à travailler à la documentation de cette faune sans objectifs précis, pour dire la vérité, et j’ai donc voyagé dans des régions isolées d’Algérie sans aucune aide des autorités. Je voulais refléter la vraie faune algérienne. Je voulais juste montrer que les animaux sauvages sont des êtres vivants sur cette planète, comme nous, et qu’ils méritent protection et respect, et non pas l’extinction.
Après trois ans de travail, le film est terminé. Je diffuse une bande-annonce sur les réseaux sociaux sans même l’avoir fait voir au préalable par des experts du montage vidéo. Je l’ai posté sans rien attendre, pensant que la majorité des gens ne se soucient pas de ce que je fais. Et pourtant, en cinq heures seulement, le nombre de vues a dépassé le demi-million et j’ai reçu des centaines de messages, notamment de journalistes d’Algérie mais aussi d’autres pays.
3) Comment en êtes-vous venu à documenter la vie dans le désert ?
Cela n’a pas été facile. Documenter les animaux sauvages nécessite du matériel photographique professionnel, et le désert d’Algérie est immense.
Mais j’ai toujours considéré le désert comme ma maison et en prendre soin est pour moi un devoir. Je me soucie beaucoup de chaque endroit de ce vaste espace, qui sont pour moi comme des pièces et des murs qu’il faut garder propres. Si une espèce animale vient à décliner, c’est pour moi comme si j’avais perdu quelque chose en rapport avec ma vie personnelle. La faune est un trésor précieux.
Néanmoins, les dangers que j’ai rencontrés au cours de mon voyage auraient pu me tuer ; c’est grâce à Dieu et à mon expérience acquise au cours de tant de temps passé dans le désert que je suis encore en vie aujourd’hui !
4) Qu’est-ce qui vous fascine dans la vie du désert ?
La nature au Sahara algérien se caractérise par une grande diversité biologique, c’est un fait. Mais au-delà de cela, chaque être vivant, chaque pierre, raconte une histoire. Quand je vois une gazelle, je peux sentir son battement de coeur, sa peur, et voir son regard fascinant. Je sens que je dois prendre soin d’eux. Un jour, j’ai pris soin d’un animal que je devais relâcher une fois guéri. Je l’ai sorti de la cage, mais il ne voulait tout simplement pas partir. Il se tenait près de moi. Tous ces animaux ne peuvent pas nous parler, mais ils ont leur propre langage. Pour moi, la façon dont ils me regardent est une communication et cela m’aide à les comprendre.
5) Comment travaillez-vous dans le désert, quels sont les risques ?
C’est un travail difficile et risqué, mais aussi amusant parce que je suis passionné. Laissez-moi vous raconter une de mes aventures. Une nuit, alors que je dormais dans le désert, j’ai trouvé un serpent qui dormait tout près de moi, j’ai dû faire très attention pour qu’il ne m’attaque pas. Le matin même, j’ai failli me noyer dans un torrent après que ma voiture se soit retrouvée bloquée pendant un certain temps dans un oued. Il m’a fallu des heures pour le retirer, et je n’ai eu que quatre heures avant de savoir que l’eau se déverserait dans la vallée. Puis, sans surprise, une tempête de sable a effacé mes traces dans les dunes et je me suis perdu.
6) Quels sont les objectifs de votre travail ?
Avec une superficie de 2.381.741 km2, l’Algérie reste néanmoins l’un des territoires les moins connus en termes de biodiversité, tant au niveau mondial que national. Sa faune et sa flore sont soumises à différentes menaces, telles que la pollution, le feu, l’indifférence des citoyens et les chasseurs mal informés. Je voulais diffuser mon film au public pour lui faire comprendre que la nature parle au monde et qu’elle dit probablement “sauve-moi”.
7) Travaillez-vous seul ?
Je finance moi-même tous mes projets, pour lesquels j’ai dû me procurer un équipement audiovisuel sophistiqué, une voiture (4X4) et l’équipement nécessaire pour le travail sur le terrain.
Je suis à la fois le cameraman, l’auteur, le directeur de la photographie, l’ingénieur du son, le producteur, le monteur… Ma motivation est si intense que je peux faire le travail de toute une équipe, tout seul ! J’ai créé une fondation appelée “Redouane TAHRI” dédiée à la production de documentaires et à l’environnement en Algérie.
9) Où voulez-vous montrer votre film ?
J’ai reçu des appels de chaînes internationales et l’une d’entre elles a diffusé un extrait du documentaire, ce qui a poussé d’autres chaînes à se précipiter vers moi pour obtenir un accord, mais je voulais vendre ce produit en Algérie. Je suis prêt à travailler avec des chaînes étrangères en même temps, mais ma priorité est de faire prendre conscience aux Algériens de ce qui appartient à leur propre culture et à leur environnement.
10) Avez-vous des espèces prioritaires, ou des espèces que vous aimez le plus documenter ?
Je m’intéresse particulièrement aux mammifères tels que les gazelles, les mouflons de Barbarie, les chats sauvages, car ils sont les cibles privilégiées des braconniers. Je tiens également à ajouter que la tendance à l’égoïsme a un impact néfaste sur la nature, car les chasseurs croient maintenant que le fait de prendre un égoïsme avec des animaux qu’ils viennent de tuer fait d’eux des héros ! D’où notre rôle, nous devons dire la vérité, et souligner ce qu’est un vrai chasseur, c’est-à-dire une personne qui ne s’attaque pas aux espèces menacées ou pendant les saisons de reproduction ; une personne qui veut maintenir l’équilibre de la chaîne alimentaire, et qui développe une culture de respect de la vie sauvage dans la société. Ce qui m’a rendu extrêmement triste récemment, c’est une scène partagée sur les réseaux sociaux, d’un homme qui torturait des renards parce qu’ils avaient mangé ses poulets ; beaucoup de gens ont apprécié cela, et cet homme est devenu un héros ! Malheureusement, cela n’est pas sanctionné par les autorités algériennes, même si l’Algérie est l’un des premiers pays au monde à avoir légiféré contre ceux qui tuent ou torturent des animaux.
11) Pouvez-vous nous dire un mot sur la conservation en Algérie ?
La conservation en Algérie existe mais principalement sur papier. L’administration doit encore travailler davantage avec les experts environnementaux pour créer davantage de zones protégées. Cela nécessite un important travail de sensibilisation, par le biais de séminaires et de colloques, mais aussi dans la formation des chasseurs et l’information de la population. La nature doit être préservée par, d’une part, les lois et normes appliquées sur le terrain en matière de chasse et, d’autre part, le développement du tourisme.
12) Avez-vous d’autres activités pour promouvoir la beauté de la nature ?
Je coopère avec le ministère de l’environnement et l’État pour classer certaines zones en zones protégées, afin que cette histoire ne se termine pas de la même façon que pour l’addax, qui a totalement disparu d’Algérie.
Un grand merci à Redouane Tahri pour son travail et pour son temps.