Tassadit Yacine, et plus récemment Amar Abba ont publié des ouvrages où figurent de nombreuses chansons en version française.
Un autre chercheur, Mohamed Djellaoui s’est attelé à la même tâche en mettant à la disposition du lectorat arabophone ces productions de qualité. Voici que c’est dans une langue, en l’occurrence le japonais que celles-ci trouvent un prolongement. L’un des promoteurs du projet, Ali Chibabi, nous en dit un peu plus.
Ali Chibani : «Les Japonais découvrent une poésie complexe et intéressante»
Comment est née l’idée d’une traduction de la poésie d’Aït Menguelet en langue japonaise et qu’en espérer?
L’idée de l’anthologie est née lors d’un colloque organisé à Tokyo sur les littératures francophones. Des universitaires japonais parlaient de leurs projets de traduction d’auteurs francophones algériens et de leur volonté de s’ouvrir aux autres littératures algériennes. J’ai alors proposé de traduire quelques poètes kabyles, dont Lounis Aït Menguellet. Satoshi Udo a immédiatement accepté.
Le peuple japonais est très curieux des cultures étrangères. Les universités et les autorités agissent de manière à satisfaire cette curiosité. Il est donc intéressant de saisir cette opportunité afin de faire circuler les littératures algériennes. La poésie de Lounis Aït Menguellet est digne d’être connue et étudiée aux quatre coins de la planète. En plus de ce que cette traduction peut ouvrir comme perspectives critiques à l’œuvre d’Aït Menguellet, elle permet de faire connaître au peuple japonais la littérature amazighophone et, à travers elle, les préoccupations politiques, culturelles, esthétiques que nous pouvons avoir en tant que créateurs kabyles. C’est la raison pour laquelle nous avons composé une anthologie en trois parties. La première a pour thème «La femme» avec des textes où le poète multiplie les stratégies rhétoriques pour convaincre. La seconde a pour thème l’histoire. On y découvre l’évolution de la poésie d’Aït Menguellet à travers le temps et la diversité de sa création. Enfin, nous nous intéressons au thème de la réception littéraire et à la place du poète dans la société kabyle.
Cette transposition dans une langue qui de prime parait compliquée a-t-elle posé des problèmes particuliers?
Personnellement, je me suis occupé de la traduction en français. Pour cette partie, j’ai voulu rester fidèle au texte originel pour laisser les lecteurs apprécier le travail stylistique et formel qu’effectue Aït Menguellet dans sa poésie.
De pratiquer la poésie chantée n’empêche pas l’artiste d’accomplir des prouesses littéraires rares, voire inédites dans la littérature orale. Les traducteurs japonais, Mayumi Shimosakai et Satoshi Udo, ont agi de même, mais il est des passages effectivement intraduisibles. Dans ce cas, ils ont fait le choix de puiser dans la culture japonaise des expressions ou proverbes équivalents à ceux qui traversent les textes traduits. Je sais qu’à la fin de ce travail, Satoshi Udo m’a dit qu’il avait trouvé les textes d’Aït Menguellet très complexes, mais que cela ne les rendait que plus intéressants à traduire. Selon le professeur Satoshi quoiqu’hermétique, la poésie d’Aït Menguellet semble pouvoir impressionner les Japonais surtout dans son plan social et humaniste: la relation avec les parents, la thématique du genre. C’est ce que nous partageons face à la modernité, surtout à l’égard de la société patriarcale, dit-il.
Selon lui les lecteurs connaîtront aussi les subtilités du poète qui fait entrevoir l’ hypocrisie du pouvoir et sa médiocrité idéologique et la société japonaise qui n’est pas en réalité si loin de l’Algérienne fera découvrir l’universalité de la poésie d’Aït Menguellet.
Comment le public, surtout les universitaires nippons ont accueilli la publication?
L’anthologie est un travail de longue haleine. J’avoue avoir sous-estimé l’effort qu’elle et le temps qu’elle pouvait exiger de nous, mais ce fut passionnant et encourageant pour amorcer de nouveaux projets. Le premier tirage de cette anthologie est destiné à des poètes et universitaires japonais. Nous attendons avec impatience leur retour.
Propos recueillis par R. Hammoudi
horizons.dz 13.11.2021