La récente dynamique de rapprochement entre l’Inde et la Chine, bien qu’elle soit passée relativement sous silence dans les médias occidentaux, s’inscrit dans un cadre géopolitique mondial en pleine mutation. Après l’entente historique entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, facilitée par la Chine, la détente sino-indienne souligne une nouvelle fois la montée en puissance des acteurs du Sud global dans la reconfiguration de l’ordre international.
Cette évolution, comme le souligne Saïd Bouamama dans son podcast, a des implications profondes non seulement pour les deux géants asiatiques mais aussi pour l’équilibre global. Loin des logiques d’unilatéralisme, ce rapprochement témoigne d’une volonté de coopération stratégique et économique qui remet en cause l’hégémonie des puissances traditionnelles.
Une détente aux implications stratégiques
Après des années de tensions frontalières exacerbées, notamment dans la région du Ladakh, le sommet des BRICS à Kazan a marqué un tournant. La rencontre entre Xi Jinping et Narendra Modi, la première en cinq ans, a donné lieu à une série d’accords visant à désamorcer les tensions. La signature d’un accord sur la démarcation de la frontière et le retrait simultané des troupes dans l’Himalaya témoignent d’une volonté claire de pacification.
Selon les termes rapportés par l’agence chinoise Xinhua, les deux pays se sont engagés à assurer la paix et la tranquillité dans les zones frontalières et à rechercher une solution juste et raisonnable à leurs différends. Ce consensus marque une rupture avec les récits dominants des années précédentes, qui prédisaient un éclatement des BRICS en raison des conflits sino-indiens.
Des motivations économiques et géopolitiques
Le rapprochement entre l’Inde et la Chine repose sur des intérêts économiques et géostratégiques communs. Avec une croissance impressionnante des échanges bilatéraux (+75 % depuis 2015), la Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Inde. Ce partenariat économique reflète une interdépendance croissante, renforçant leur position sur la scène internationale.
Sur le plan géopolitique, cette détente constitue un obstacle majeur aux stratégies américaines dans la région indo-pacifique. Depuis plusieurs années, les États-Unis ont cherché à instrumentaliser les tensions sino-indiennes pour intégrer l’Inde dans une alliance militaire anti-chinoise, notamment via le Quad. Toutefois, l’Inde semble désormais s’éloigner de cette logique, préférant une posture de coopération multilatérale.
En réaffirmant leur opposition commune à l’unilatéralisme, l’Inde et la Chine consolident une vision multipolaire du monde. Cette convergence d’intérêts est renforcée par leur dépendance énergétique à la Russie et par leur faible endettement, qui les place en position de force face aux pressions extérieures.
Des signaux positifs pour le Sud global
Ce rapprochement envoie un signal fort aux pays du Sud global, qui voient dans cette coopération une opportunité de renforcer leurs positions face aux défis économiques et climatiques. La Chine et l’Inde, qui représentent à elles seules plus d’un tiers de la population mondiale, démontrent qu’il est possible de surmonter les différends historiques pour se concentrer sur des objectifs communs.
Les initiatives récentes, telles que le symposium sur le bouddhisme, la coopération cinématographique ou encore la facilitation des visas pour les pèlerinages, illustrent cette nouvelle dynamique. Ces gestes, bien qu’apparemment symboliques, témoignent d’une volonté réelle de bâtir une relation basée sur la confiance et le respect mutuel.
Une menace pour l’unilatéralisme occidental
Le rapprochement sino-indien constitue également un défi majeur pour les puissances occidentales, habituées à dicter les règles du jeu international. La montée en puissance des BRICS, renforcée par l’adhésion de nouveaux membres, redéfinit les rapports de force mondiaux. En s’affranchissant des logiques d’alliances militaires imposées par les États-Unis, l’Inde et la Chine montrent la voie à d’autres nations désireuses de préserver leur souveraineté.
Ce processus, bien que lent et complexe, est révélateur d’une tendance de fond : la transition vers un monde multipolaire. En privilégiant la coopération au détriment de la confrontation, ces deux grandes nations jettent les bases d’un nouvel ordre mondial plus équitable.